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de Flint, et tu peux bien croire que son équipage n’était pas composé de gaillards faciles à intimider. Eh bien, mon garçon, sans me vanter, je puis dire que, pour moi, c’étaient tous des agneaux. Et Flint, lui-même, savait qu’il ne fallait pas plaisanter avec John Silver…

— Ma foi, dit le jeune homme, je vous avoue que cette affaire ne me plaisait guère, avant d’avoir causé avec vous, John. Mais, à présent, topez là, j’en suis !…

— Tu es un brave garçon et un faraud, répliqua le cuisinier en donnant à sa nouvelle recrue une poignée de main si vigoureuse que le tonneau en trembla sur sa base. Tu étais né pour être un chevalier de fortune, je l’ai vu tout de suite. »

Je commençais à comprendre ce langage. Un chevalier de fortune signifiait tout uniment un pirate, et la scène à laquelle j’assistais était l’effort suprême tenté pour corrompre un des matelots fidèles, peut-être le dernier à bord. Je fus bientôt édifié sur ce point, car, à un léger coup de sifflet de John Silver, un troisième interlocuteur vint le rejoindre et s’assit sur le pont.

« Dick est avec nous, dit le cuisinier.

— Je n’en ai jamais douté, répondit la voix du second maître, Israël Hands. Il n’est pas bête, Dick !… »

Puis, après avoir retourné sa chique et lancé un jet de salive devant lui :

« Dis-moi donc un peu, John, reprit-il, combien de temps allons-nous encore attendre avant de commencer la danse ?… Pour mon compte, je commence à en avoir assez du capitaine Smollett ! Il me tarde de coucher dans la grande cabine, et de goûter leurs pickles, leur vin et le reste…

— Israël, dit Silver, tu n’as jamais eu pour deux liards de jugement, tu le sais bien. Mais tu peux entendre ce qu’on te dit, je suppose, car tu as pour cela d’assez longues oreilles… Eh bien, écoute-moi. Tu coucheras à l’avant, tu te passeras de vin et de pickles, et tu parleras poliment jusqu’à ce que je te dise : Voici le moment. Mets cela dans ta poche, mon fils.

— Qui parle d’agir autrement ? dit le second maître. Je demande seulement quand ce sera.

— Quand ? Par tous les diables, je vais te le dire ! s’écria Silver. Ce sera le plus tard possible, — voilà quand… Comment ! nous avons là un excellent capitaine pour conduire le schooner ; nous avons le squire et le docteur qui possèdent une bonne carte où tout est inscrit, et ni toi ni moi ne savons où est cette carte, n’est-ce pas ? Et tu voudrais aller nous priver de leurs services ?… Ce serait stupide. J’entends que le squire et le docteur nous trouvent le trésor, qu’ils nous le servent à bord, bien arrimé dans nos soutes, par tous les diables ! Et alors nous verrons. Si j’étais sûr de vous, doubles