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L’ILE AU TRÉSOR.


« Hôtel de la Vieille-Ancre, Bristol,
1er mars 1761.

« Mon cher Livesey,

« Ignorant si vous êtes chez vous ou à Londres, j’envoie ceci en double et aux deux adresses.

« Le bâtiment est armé et équipé, prêt à prendre la mer. C’est le plus joli schooner qu’on puisse voir, l’Hispaniola, de deux cents tonneaux ; si léger et si bien construit qu’un enfant se chargerait de le diriger. J’ai fait cette trouvaille grâce à mon ami Blandly, qui se montre serviable au possible. Le brave garçon s’est mis corps et âme à ma disposition. Tout le monde à Bristol, du reste, est absolument charmant pour moi, surtout depuis qu’on sait quel est le but de notre voyage, j’entends le Trésor… »


« Oh ! oh ! m’écriai-je en interrompant ma lecture, le docteur Livesey ne sera pas content ! Le squire a bavardé, malgré sa promesse.

— N’en avait-il pas le droit ? grommela le garde-chasse. Il ferait beau voir que le squire se privât de parler pour complaire au docteur Livesey. »


Je suspendis tout commentaire et repris ma lecture :

« C’est Blandly en personne qui a découvert l’Hispaniola et qui s’est arrangé de manière à l’avoir pour presque rien. Ce qui n’empêche pas les gens de jaser, bien entendu. Le pauvre Blandly a beaucoup d’ennemis, certains vont jusqu’à dire que l’Hispaniola lui appartenait en propre, qu’il me l’a vendue beaucoup trop cher, et autres sottises. Dans tous les cas, ils ne peuvent pas alléguer que ce ne soit pas un excellent schooner c’est ce qui me console.

« Jusqu’ici tout a marché comme sur des roulettes. Les ouvriers chargés du gréement et des radoubs mettent un temps de tous les diables à faire leur ouvrage ; mais enfin nous en sommes venus à bout. Ce qui m’a donné le plus de mal, c’est la formation de l’équipage. Il me fallait au moins une vingtaine d’hommes, pour le cas où nous trouverions des sauvages dans l’île, ou en mer quelqu’un de ces maudits Français ; mais j’avais eu d’abord tout le mal du monde à en recruter une demi-douzaine, quand un coup du ciel m’a fait précisément tomber sur l’homme de la situation. C’est un vieux marin avec qui, par le plus grand des hasards, je suis entré en conversation dans le bassin même du radoub. Il tient à Bristol une auberge de matelots, ce qui fait qu’il les connaît à peu près tous. J’ai appris qu’il voulait se remettre à naviguer, sa santé se trouvant mal de l’air de terre, et qu’il cherchait un emploi de cuisinier sur un bâtiment quelconque. Il se promenait par là pour humer la brise du large, au moment où j’ai fait sa connaissance, et ces détails m’ont beaucoup touché. Vous l’auriez été comme moi ; aussi l’ai-je immédiatement