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LA FIN DE L’AVEUGLE.

« C’est Dirk ! dit l’un des hommes. Et deux coups !… Il va falloir décamper, camarades.

— Qui parle de décamper ? cria Pew. Parce que cet imbécile et ce poltron de Dirk a pris peur ?… Ne le connaissez-vous pas ?… Ne vous occupez pas de son sifflet, cela n’en vaut pas la peine… Il s’agit de trouver ces gens, qui ne peuvent être loin… Je gage que vous avez le nez dessus, tas de chiens !… Damnation ! Si j’avais seulement mes yeux !… »

Cet appel produisit un certain effet. Deux hommes se mirent à battre les buissons autour de l’auberge. Mais il me parut que c’était sans entrain et qu’ils n’oubliaient pas le danger possible annoncé par le sifflet. Quant aux autres, ils semblaient indécis et ne bougeaient pas.

« Tas d’idiots, qui n’avez qu’à tendre la main pour ressaisir des millions et qui les laissez échapper ! disait l’aveugle. Vous savez qu’un chiffon de papier vous ferait aussi riche que des rois, qu’il est là, près de vous, et vous ne grouillez pas ?… Pas un de vous n’a osé seulement affronter Bill !… Il a fallu que ce fût moi, un aveugle !… Et il faut maintenant que je perde une fortune par votre faute !… que je continue à mendier ma misérable vie, au lieu de rouler carrosse, comme ce serait si facile !… Il ne s’agit pourtant que de trouver ces gens, et c’est une entreprise qui demande tout juste autant de courage qu’il y en a dans un ver de biscuit… Eh bien !… ce courage, vous ne l’avez pas !

— Que veux tu, Pew ? nous avons toujours les doublons ! argua l’un des hommes.

— Qui nous dit d’ailleurs que ce bienheureux papier n’est pas déjà enterré quelque part ? reprit un autre. Prends les guinées, Pew, et ne reste pas là à brailler de la sorte… »

Brailler était le mot. Ces objections exaspérèrent l’aveugle à tel point qu’il ne se posséda plus et se mit à donner de grands coups de bâton à ceux qui se trouvaient à sa portée. À leur tour, ils ripostèrent avec des jurons et des menaces effroyables, en essayant mais en vain de lui arracher son bâton.

Cette querelle nous sauva, ma mère et moi. Car soudain j’entendis sur la hauteur, du côté du village, le galop d’une troupe de chevaux, et presque aussitôt un coup de pistolet brilla et retentit sur la falaise. Ce fut le signal de la débandade. Les brigands se mirent à courir de tous côtés, les uns vers la baie, les autres à travers champs. En moins d’une demi-minute, Pew était resté seul. L’avaient-ils abandonné ainsi par un simple effet de leur panique ou pour se venger de ses menaces et de ses brutalités, c’est ce que je ne saurais dire ; mais le fait est qu’il se trouvait en arrière, tapant frénétiquement la route de son bâton, fuyant à tâtons et appelant