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Le docteur Livesey me donna une poignée de main, par-dessus la palissade, fit un signe de tête à Silver, et partit lestement à travers bois.


XXXI

LA CHASSE AU TRÉSOR.


« Jim, me dit Silver dès que nous fûmes seuls, si j’ai sauvé ta vie, tu sauves la mienne, et je ne l’oublierai pas. J’ai bien vu le docteur te faire signe de prendre la clef des champs, du coin de l’œil. J’ai vu ça, et je t’ai vu dire non, aussi clairement que si j’avais entendu ta réponse. Jim, cela te comptera… Voici le premier rayon d’espoir qui m’arrive depuis l’insuccès de l’assaut, et c’est à toi que je le dois… Mais assez causé. Maintenant il s’agit d’aller à la chasse de ce bienheureux trésor, sans trop savoir où cela nous mènera, et je m’en passerais bien. Tenons-nous l’un près de l’autre, puisque c’est la consigne, et nous nous en tirerons, en dépit de tout… »

À ce moment, un homme nous héla près du feu pour nous annoncer que le déjeuner était prêt ; et bientôt nous fûmes installés çà et là sur le sable, mangeant notre porc grillé et nos biscuits. Les pirates avaient allumé un feu à rôtir un bœuf ; il faisait si chaud qu’on ne pouvait en approcher que du côté du vent, et même avec précaution. Dans le même esprit de gaspillage, ils avaient préparé au moins trois fois plus de grillade que nous ne pouvions en consommer ; et l’un d’eux, avec un rire bête, jeta ce qui restait dans les flammes, qui rugirent et pétillèrent de plus belle. Je n’avais de ma vie vu des gens aussi insoucieux du lendemain. Le courage ne leur manquait pas, à coup sûr ; mais, avec cette imprévoyance absolue, avec cette habitude de s’endormir quand ils étaient de garde, comment auraient-ils pu soutenir seulement une campagne de huit jours ?

Silver lui-même mangeait et buvait autant qu’un autre, le capitaine Flint sur l’épaule, et ne semblait pas s’offusquer de ces prodigalités. Cela me paraissait d’autant plus étrange qu’il était précisément en train d’exhiber ce jour-là un véritable génie de diplomate.

« Vous pouvez vous vanter d’avoir de la chance, camarades, disait-il, que je sois là pour penser à vos affaires avec cette caboche-ci !… Ce que je voulais d’eux, je le tiens… Bien sûr ils ont le schooner, quoique je ne sache pas exactement en quel endroit. Mais une fois ce fameux trésor découvert, nous nous dégourdirons et nous finirons bien par savoir le fin mot. Et alors, camarades, m’est avis que la victoire sera pour qui a les chaloupes… »