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— Le conseil du gaillard d’avant, » ajoutait l’autre.

Je restai seul avec Silver. Aussitôt, il ôta sa pipe de ses lèvres :

« Écoute-moi, Jim Hawkins, me dit-il à demi-voix. Tu es en danger de mort, et, qui pis est, en danger d’être mis à la torture. Ils vont me déposer, c’est clair. Mais je ne veux pas t’abandonner, quoi qu’il arrive… Pour dire la vérité, j’étais autrement disposé jusqu’au moment où tu as parlé. Ce n’est pas drôle, vois-tu, d’avoir manqué cette affaire et d’être pendu par-dessus le marché !… Mais je vois maintenant de quelle pâte tu es fait. Je me dis : « Sauve Jim Hawkins, John Silver, et Jim Hawkins te sauvera !… Tu es sa dernière carte, comme il est ton dernier atout… Donnant donnant… Ménage-toi un témoin, et peut-être empêchera-t-il que tu n’ailles à la potence !… » Voilà ce que je me dis…

Je commençais à comprendre.

— Voulez-vous dire que tout est perdu ? demandai-je.

— Parbleu ! répondit-il. Le navire est parti, il y va de la corde, ni plus ni moins !… Oh ! je l’ai bien compris tout de suite !… Quand j’ai levé le nez sur la baie, Jim Hawkins, et que je n’ai plus vu le schooner, eh bien ! je suis pourtant un dur à cuire, mais je me suis dit : Il n’y a plus qu’à mettre les pouces… Quant à ces ânes-là et à leur conseil, je vais faire de mon mieux pour te tirer de leurs griffes, mon petit Jim… Mais, à ton tour, le moment venu, tu tâcheras d’empêcher que je ne danse au bout de la corde, hein ?…

J’étais stupéfait de cette demande. Comment le vieux pirate, celui qui avait tout mené, pouvait-il conserver une lueur d’espoir ?

— Ce que je pourrai, je le ferai, dis-je enfin.

— Affaire conclue ! s’écria Silver. Ah ! tu n’as pas froid aux yeux, petit !… Et mille tonnerres, nous verrons si John Silver ne sait pas jouer sa dernière carte !…

Il alla en sautillant jusqu’à la torche et ralluma sa pipe.

« Comprends-moi bien, Jim, dit-il en revenant vers moi. Je ne suis pas une bête, n’est-ce-pas ?… Et c’est pourquoi, de ce moment, je me remets du côté du squire… Tu sais évidemment où est le schooner et où aller le retrouver… Comment cela s’est fait ? je n’en ai pas la moindre idée… Sans doute Hands et O’Brien ont tourné casaque. Je n’ai jamais eu grande foi dans leur poudre… Mais il ne s’agit pas de cela. Je ne te demande rien, et je ne te dirai rien de mes affaires… Je sais reconnaître quand la partie est perdue, voilà tout, comme je sais rendre justice à qui le mérite… Ah ! Jim, si nous avions su nous entendre, que de choses nous aurions pu faire, toi et moi !…

Il tira un peu de rhum du tonneau, dans un gobelet d’étain.

« En veux-tu, petit ? me demanda-t-il.

Et sur mon refus :