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XXVI

ISRAËL HANDS.


La brise, qui semblait nous obéir, venait de tourner à l’Ouest. Il nous fut donc on ne peut plus aisé d’arriver du coin nord-est de l’île à l’entrée de la baie du Nord. Mais une fois là, comme nous étions dépourvus d’ancre, et comme il ne pouvait être question d’échouer le schooner avant que la marée fût au plus haut, nous n’avions plus qu’à nous croiser les bras. Le second maître m’avait dit comment je devais m’y prendre pour rester en panne.

Je finis par réussir après trois ou quatre essais infructueux ; et alors, pour passer le temps, nous nous remîmes à manger.

« Capitaine, me dit Hands quand il vit que je m’arrêtais, et mon vieux camarade O’Brien, que voilà… pourquoi ne le jetterions-nous pas à la mer ?… En général, je ne suis pas dégoûté… mais il n’est pas beau à voir, vrai !…

— Je ne suis pas assez fort et la besogne ne me sourit guère, répondis-je avec frisson. Il peut bien rester là, après tout !…

— Ah ! c’est un navire de malheur, cette l’Hispaniola ! reprit alors Israël Hands, sans insister sur sa proposition. C’est effrayant, ce qu’il en est mort, de ceux qui se sont embarqués à Bristol, avec toi et moi !… Pauvres gens ! cela fend le cœur d’y penser, tout de même…

Il resta quelques instants comme absorbé dans ses réflexions ; puis, relevant les yeux :

« Sais-tu ce que tu ferais, si tu étais bien aimable, Jim ? reprit-il. Tu descendrais au salon me chercher une bouteille de vin… Cette eau-de-vie est trop forte pour ma pauvre tête !… »

Il formula cette demande d’un ton doucereux qui ne me parut pas naturel. Et quant à l’histoire qu’il me contait, je n’y crus pas une minute. Hands, préférer du vin à l’eau-de-vie !… comme c’était vraisemblable !… Évidemment, il avait besoin d’un prétexte pour me faire quitter le pont pendant quelques minutes. Mais dans quel but ? c’est ce que je ne pouvais imaginer. Ses yeux évitaient maintenant les miens. Tantôt il les levait vers le ciel, tantôt il jetait un regard sur le cadavre d’O’Brien. Et tout le temps, il souriait d’un air embarrassé et honteux. Un enfant de sept ans aurait vu qu’il méditait quelque mauvais coup.

Je lui répondis promptement, car je voulais profiter de mon avan-