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marin descendait à l’« Amiral Benbow » (comme le faisaient parfois ceux qui, par la route de la côte, gagnaient Bristol), il l’observait à travers le rideau de la porte vitrée avant d’entrer dans la salle ; et on était sûr qu’il resterait silencieux comme une souris tant que l’autre serait présent.

Pour moi, tout au moins, il n’y avait pas de secret là-dessous, car je partageais, en quelque sorte, ses alarmes.

Il m’avait un jour pris à part et m’avait promis une pièce d’argent de quatre pence le premier de chaque mois, si je voulais seulement ouvrir l’œil pour lui signaler un marin unijambiste aussitôt que je l’apercevrais.

Assez souvent, quand le premier du mois arrivait, et que je m’adressais à lui pour mon salaire, il se contentait de me foudroyer du regard, en soufflant avec force par le nez, et en me faisant baisser les yeux ; mais avant que la semaine fût écoulée, il avait réfléchi et il m’apportait ma pièce de quatre pence, en me répétant l’ordre de veiller au marin unijambiste. Combien ce personnage hantait mes rêves, je n’ai pas besoin de vous le dire.

Pendant les nuits de tempête, quand le vent secouait les quatre coins de la maison, que la houle mugissait le long de la baie et sur les falaises, je le voyais sous mille formes, et avec mille expressions diaboliques. Tantôt la jambe était coupée au genou, tantôt à la hanche, tantôt c’était une sorte de créature monstrueuse qui n’avait jamais eu qu’une seule jambe, au milieu du corps.

Le voir sauter, courir et me poursuivre pardessus haies et fossés était le pire de mes cauchemars.