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un homme devant lequel on s’incline très bas, et qui mène les gens à la baguette. Et puis il y a celui qu’on nomme Alan Breck…

– Ah ! m’écriai-je, parlez-moi donc de lui !

– Que dire du vent qui souffle où il veut ? dit Henderland. Il est ici et là ; ici aujourd’hui, et parti demain ; un vrai chat de bruyère. Il serait à nous guetter de ce buisson là-bas que cela ne m’étonnerait nullement… N’auriez-vous pas par hasard quelque chose qui ressemble à une prise, monsieur Balfour ?

Je lui répondis que non, et qu’il m’avait déjà demandé plusieurs fois la même chose.

– C’est fort possible, dit-il en soupirant. Mais je trouve singulier que vous n’en ayez pas… Cependant, comme je vous le disais, c’est un hardi et dangereux compère que cet Alan Breck ; et bien connu pour être le bras droit de James. Sa vie est déjà mise à prix ; il est sans aucun scrupule ; et je me demande, au cas où un tenancier hésiterait à payer, s’il ne lui planterait pas son dirk dans l’estomac.

– Vous nous donnez de lui une triste idée, monsieur Henderland, dis-je. S’il n’y a rien autre chose que de la crainte des deux côtés, je me soucie peu d’en connaître davantage.

– Non pas, dit M. Henderland ; il y a de l’amour aussi ; et une abnégation à faire honte aux gens comme vous et moi. Leur conduite ne manque pas de beauté, non peut-être au point de vue chrétien, mais au point de vue humain. Alan Breck lui-même, d’après tout ce que j’ai entendu dire, est un chevalier digne de respect. Tel grippe-sous hypocrite qui siège au premier rang de l’église, dans notre partie du pays, et qui passe pour bon aux yeux du monde, est peut-être bien pire que ce dévoyé verseur de sang humain. Oui, certes, nous avons des leçons à recevoir d’eux… Vous allez peut-être croire que j’ai vécu trop longtemps dans les Highlands, ajouta-t-il, avec un sourire.

Je lui répondis que je n’en croyais rien ; que j’avais vu beaucoup de choses louables chez les Highlanders ; et que, pour tout dire, M. Campbell lui-même était Highlander.

– Oui, dit-il. Il est ma foi de bonne race.

– Et que va faire l’agent du roi ? demandai-je.

– Colin Campbell ? Fourrer sa tête dans un guêpier.

– Il va donc mettre dehors les tenanciers de force, à ce que j’entends ?

– Oui. Mais l’affaire a eu des hauts et des bas, comme on dit. D’abord, James des Glens s’est rendu à Édimbourg, et a obtenu de l’avocat (un Stewart, bien entendu, – ils tiennent tous ensemble comme les doigts de la main) de faire suspendre la procédure. Et puis Colin Campbell est revenu à la charge, et l’a emporté devant les Barons de l’Échiquier. Et à cette heure on me dit que demain on fera déloger les premiers des tenanciers. L’opération doit commencer à Duror, sous les fenêtres mêmes de James, procédé qui ne me paraît guère sage, à mon humble avis.

– Croyez-vous qu’ils fassent résistance ? demandai-je.

– Ma foi, dit Henderland, ils sont désarmés, – ou censés l’être, – car