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cinq shillings, à me donner le gîte pour la nuit et à me guider le lendemain jusqu’à Torosay.

Je dormis mal cette nuit-là, dans la crainte d’être volé ; mais je n’avais pas besoin d’avoir peur, car mon hôte n’était pas larron, mais simplement très pauvre et des plus fourbes. Il n’était pas seul dans sa pauvreté, car le matin il nous fallut faire environ cinq milles jusqu’à la maison de ce qu’il appelait un riche homme pour changer une de mes guinées. Ce riche l’était peut-être pour Mull ; on ne l’aurait guère jugé tel dans le sud ; car il dut réunir toutes ses richesses, – la maison fut retournée de fond en comble et un voisin mis à contribution, avant de parfaire une somme de vingt shillings en argent. Le shilling de reste, il le garda pour lui, soutenant qu’il oserait à peine avoir chez lui « sous clef » une somme aussi importante. D’ailleurs, il se montra fort poli et bien élevé, nous fit asseoir tous deux avec sa famille pour dîner et prépara du punch dans un beau saladier de porcelaine, ce qui réjouit mon coquin de guide à un point tel qu’il ne voulut plus repartir.

J’étais prêt à me mettre en colère, et pris à témoin le riche homme (il s’appelait Hector Maclean) qui venait d’assister à notre marché et au paiement des cinq shillings. Mais Maclean avait pris sa part du punch et il jura qu’aucun gentleman ne quitterait sa table une fois le saladier préparé. Il ne me resta plus qu’à me rasseoir et à écouter des toasts jacobites et des chants gaéliques, jusqu’à l’heure où tout le monde fut ivre et où chacun s’alla coucher dans son lit ou dans la grange.

Le jour suivant (quatrième de mes pérégrinations) nous fûmes sur pied avant cinq heures ; mais mon coquin de guide se remit aussitôt à boire, car il était trois heures quand je parvins à le faire sortir de la maison, et cela (comme on va le voir) pour aboutir à un autre désagrément.

Aussi longtemps que nous descendîmes un val de bruyère qui s’allongeait devant la maison de M. Maclean, tout alla bien ; si ce n’est que mon guide regardait sans cesse derrière lui, et lorsque je lui demandais pourquoi, il me répondait par une grimace. Mais à peine avions-nous franchi la crête d’une colline et perdu de vue les fenêtres de la maison, il me dit que j’avais Torosay juste devant moi et qu’un sommet (qu’il me désigna) était mon meilleur repère.

– Peu m’importe, dis-je, puisque vous venez avec moi.

L’impudent fourbe me répondit en gaélique qu’il ne savait pas l’anglais.

– Mon bon ami, dis-je, je m’aperçois que votre anglais va et vient facilement. Dites-moi ce qui pourrait le ramener. Est-ce encore de l’argent qu’il vous faut ?

– Cinq shillings de plus, dit-il, et je vous y conduis.

Après quelque réflexion, je lui offris deux, qu’il s’empressa d’accepter, mais il tint absolument à les avoir en main tout de suite, – « pour la chance », comme il disait, bien que ce fût plutôt pour le malheur.

Les deux shillings ne le menèrent pas beaucoup plus loin qu’un