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du chemin. À la vérité, je rencontrai beaucoup de gens, grattant leurs misérables carrés de terre incapables de nourrir un chat, où paissaient des vaches minuscules, de la taille à peu près d’un baudet. Le costume du Highland étant interdit par la loi depuis la rébellion, et le peuple condamné au vêtement des basses-terres, qu’il détestait, la variété des accoutrements faisait un curieux spectacle.

Les uns allaient nus, à part un paletot flottant ou surtout, et portaient leur pantalon sur l’épaule comme un fardeau inutile ; d’autres s’étaient confectionné un simulacre de tartan avec d’étroites bandes d’étoffe bigarrée cousues ensemble comme un couvre-pied de vieille femme ; d’autres encore portaient toujours le philabeg[24] du Highland, mais, à l’aide de quelques points faufilés entre les jambes, l’avaient métamorphosé en une sorte de pantalon hollandais. Tous ces déguisements étaient prohibés et punis, car on appliquait la loi avec sévérité, dans l’espoir de briser l’esprit de clan ; mais dans cette île perdue au bout du monde, il y avait peu de gens pour y faire attention, et encore moins pour l’aller raconter.

Tous semblaient être dans une grande pauvreté ; chose sans doute naturelle, à présent que l’on avait mis fin à la rapine, et que les chefs ne tenaient plus table ouverte. Les routes (jusqu’à cette piste rustique et sinueuse que je suivais) étaient infestées de mendiants. Et là encore je notai une différence avec la partie du pays où j’étais né. Car nos mendiants du Lowland – même ceux en robe, patentés – avaient une manière à eux de basse flagornerie, et si vous leur donniez un patard, en réclamant la monnaie, ils vous rendaient poliment un liard. Mais ces mendiants du Highland se drapaient dans leur dignité, ne demandaient l’aumône que pour acheter de la prise (à leur dire) et ne rendaient pas la monnaie.

À coup sûr, je ne m’en souciais guère, à part l’intérêt que cela m’offrait chemin faisant. Mais ce qui m’ennuyait davantage, peu de gens savaient l’anglais, et ceux-là (à moins qu’ils ne fussent de la confrérie des mendiants) n’étaient guère désireux de mettre leur anglais à mon service. Je savais que j’allais à Torosay, et je leur redisais le mot avec un geste d’interrogation ; mais au lieu d’un geste de réponse, ils me répliquaient par une kyrielle de gaélique qui m’ahurissait ; il n’y a donc rien d’étonnant si je déviai de la bonne route aussi souvent que je la suivais.

Enfin, vers huit heures du soir, et déjà recru de fatigue, j’arrivai à une maison isolée où je demandai l’hospitalité. Je venais d’essuyer un refus, lorsque je m’avisai de la puissance de l’argent dans un pays aussi pauvre, et présentai une de mes guinées entre le pouce et l’index. Aussitôt, l’homme de la maison, qui avait jusque-là fait semblant d’ignorer l’anglais et m’avait chassé de son seuil par gestes, se mit à parler aussi clairement qu’il en était besoin, et consentit, moyennant