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– Voulez-vous dire qu’à marée basse… ? m’écriai-je, sans pouvoir achever.

– Oui, oui, dit-il. Marée.

Là-dessus, je tournai le dos à leur barque (où mon conseilleur avait recommencé à hennir de rire), refis par sauts et par bonds, d’une pierre à l’autre, le chemin par où j’étais venu, et traversai l’île en courant comme je n’avais jamais couru. En moins d’une demi-heure, j’arrivai sur les bords de la crique ; et en vérité, elle s’était réduite à un mince filet d’eau, où je m’élançai. Je n’en eus pas plus haut que les genoux, et pris pied sur l’île principale avec un cri de joie.

Un garçon élevé au bord de la mer ne serait pas demeuré un jour entier sur Earraid, car c’est ce qu’on appelle une île de marée, et sauf en période de morte-eau, on peut y accéder ou la quitter deux fois en vingt-quatre heures, soit à pied sec, soit, au pis-aller, en se déchaussant. Même moi, qui voyais la marée baisser et monter sous mes yeux dans la baie, et qui même attendais le reflux pour ramasser mes coquillages, – même moi, dis-je, si j’avais un peu réfléchi, au lieu de me révolter contre mon sort, j’aurais eu tôt fait de pénétrer le mystère et de m’évader. Rien d’étonnant à ce que les pêcheurs ne m’aient pas compris. L’étonnant, c’est plutôt qu’ils aient deviné ma déplorable illusion, et qu’ils se soient dérangés pour revenir. J’étais resté exposé au froid et à la faim sur cette île durant près de cent heures. N’eussent été les pêcheurs, j’aurais pu y laisser mes os, par sottise pure. Et même ainsi, je l’avais payé cher, non seulement par mes souffrances passées, mais par ma situation actuelle : j’étais fait comme un mendiant, je pouvais à peine marcher, et je souffrais beaucoup de la gorge.

J’ai vu des méchants et des sots, beaucoup des deux ; et je crois que les uns et les autres expient à la fin ; mais les sots d’abord.


XV. Le garçon au bouton d’argent à travers l’île de Mull


Le Ross de Mull, sur lequel je venais d’arriver, était raboteux et sans chemin frayé, juste comme l’île que je venais de quitter : ce n’était que boue, bruyère et grosses pierres. Il y a peut-être des routes dans ce pays, pour ceux qui le connaissent bien ; mais, pour ma part, je n’avais d’autre flair, ni d’autre point de ralliement que Ben More.

Je me dirigeai tant bien que mal sur la fumée que j’avais vue si souvent de l’île ; ma fatigue extrême et les difficultés du chemin m’empêchèrent d’atteindre avant cinq ou six heures du soir la maison au fond du petit creux. Elle était basse et allongée, recouverte de gazon et bâtie en pierre