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Alan déposa sa pipe, éteinte depuis longtemps, et mit ses deux mains à plat sur ses genoux.

– Ah ! dit-il, vous ne le devineriez jamais ! Car ces mêmes Stewarts, ces mêmes Maccols et ces Macrobs (qui avaient deux rentes à payer, l’une au roi George, par la force brutale, l’autre à Ardshiel, de bonne volonté) lui offrirent un meilleur prix que tous les Campbell de l’Écosse ; et il avait été les chercher au loin – jusqu’aux bords de la Clyde et à la Croix d’Édimbourg, – les priant et les suppliant de venir, car il y avait un Stewart à affamer et un chien de Campbell à tête rouge à favoriser !

– Ma foi, Alan, dis-je, l’histoire est singulière, et bien belle aussi. Tout whig que je suis, je suis enchanté que cet homme ait été battu.

– Lui battu ? répéta Alan. Vous ne connaissez pas les Campbells, et encore moins le Renard-Rouge ! Lui battu ? Non ; et il ne le sera pas, avant que son sang ne teigne la colline ! Mais s’il vient un jour, ami David, où je trouve le temps et le loisir de lui faire un peu la chasse, il n’y a pas assez de bruyère dans toute l’Écosse pour le mettre à l’abri de ma vengeance !

– Ami Alan, lui dis-je, ce n’est sage ni chrétien de proférer ces paroles de colère. Elles ne feront aucun mal à celui que vous appelez le Renard-Rouge, et aucun bien à vous. Racontez-moi simplement l’histoire. Que fit-il ensuite ?

– Votre remarque est juste, David, dit Alan. C’est bien vrai, que cela ne lui fait pas de mal ; et tant pis ! Mais sauf en ce qui concerne la religion (et là-dessus mon avis est tout différent, sinon je ne serais pas chrétien) je pense assez comme vous.

– Votre avis n’a rien à voir ici, on sait bien que la religion interdit la vengeance.

– Ah ! comme on sent que vous avez reçu votre éducation d’un Campbell ! Le monde serait trop beau pour eux et leurs pareils, s’il n’existait des choses comme un gars avec son fusil derrière un buisson de bruyère ! Mais revenons à l’histoire. Voici donc ce qu’il fit.

– Oui, dis-je, continuez.

– Eh bien, David, ne pouvant se débarrasser des loyaux paysans par les bons moyens, il jura d’en venir à bout par les mauvais. Ardshiel devait mourir de faim : tel était le résultat final à obtenir. Et puisque ceux qui le nourrissaient dans son exil refusaient de se laisser acheter – de gré ou de force il les chasserait. Il envoie donc chercher des gens de loi, des paperasses et des habits-rouges pour le seconder. Et les pauvres gens de ce pays durent tous faire leurs paquets et décamper, chaque fils hors de la maison paternelle, chacun loin de l’endroit où il avait été nourri et élevé, et où il avait joué dans son enfance. Et qui vint les remplacer ? Des gueux à jambes nues. Le roi George peut attendre ses rentes ; il lui faudra s’en passer et économiser le beurre sur son pain. Mais qu’importe à Colin le Rouge ? Faire du mal à Ardshiel, cela lui suffit ; s’il peut retirer le manger de la table de son