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– Moi aussi, répliqua-t-il sèchement.

– Mais bon Dieu, mon ami, m’écriai-je, vous qui êtes un rebelle condamné, un déserteur, et un homme du roi de France, pourquoi donc revenez-vous en ce pays ? C’est braver la Providence.

– Bah ! je suis revenu tous les ans depuis 46.

– Et quoi donc vous pousse, ami ?

– Eh bien, voyez-vous, je m’ennuie de mes amis et de chez moi. La France est un beau pays, sans doute ; mais j’y regrette la bruyère et les daims. Et puis j’ai certaines petites commissions à remplir. Des fois, ce sont quelques gars que je ramène au roi de France : des recrues, pour tout dire ; et puis aussi un peu d’argent. Mais l’affaire la plus importante est celle de mon chef, Ardshiel.

– Je croyais que votre chef s’appelait Appin.

– Oui, mais Ardshiel est le capitaine du clan, dit-il (ce qui ne m’avança guère). Voyez-vous, David, celui qui toute sa vie a été un si grand personnage, et qui descend des rois et porte leur nom, est présentement réduit à vivre dans une ville de France comme un simple particulier. Lui qui avait quatre cents épées à sa suite, je l’ai vu, de mes yeux, acheter du beurre au marché, et le rapporter chez lui dans une feuille de chou. C’est plus qu’affligeant, c’est une honte pour nous tous de sa famille et de son clan. Il y a les petits, en outre, les enfants et l’espoir d’Appin, qui doivent apprendre à lire et à tenir une épée, dans ce lointain pays. Or, les tenanciers d’Appin ont à payer une rente au roi George ; mais leur cœur est ferme, ils sont fidèles à leur chef ; et tant par amour que par un rien de pression, et voire une menace ou deux, les pauvres gens raclent une seconde rente pour Ardshiel. Eh bien, David, c’est moi qui suis chargé de la porter. Et, frappant sur sa ceinture, il fit sonner les guinées.

– Ils payent donc deux fois ? m’écriai-je.

– Oui, David, deux fois.

– Quoi ! Deux rentes ? répétai-je.

– Oui, David. J’ai raconté une autre histoire à cette espèce de capitaine ; mais je vous dis la vérité. Et je m’étonne moi-même du peu de pression qu’il y faut. Mais cela, c’est l’affaire de mon bon parent, cet ami de mon père, James des Glens ; James Stewart, c’est-à-dire : le demi-frère d’Ardshiel. C’est lui qui ramasse l’argent et en fait la répartition.

Ce fut la première fois que j’entendis le nom de ce James Stewart, qui devint plus tard si fameux au temps de sa pendaison. Mais j’y fis peu d’attention sur le moment, car j’avais l’esprit trop préoccupé par la générosité de ces pauvres Highlanders.

– Je trouve cela noble, m’écriai-je. Je suis un whig, ou peu s’en faut, mais je trouve cela noble !

– C’est vrai, vous êtes un whig, mais vous êtes aussi un gentilhomme, ce qui explique vos sentiments. Toutefois, si vous apparteniez à la race maudite des Campbell, vous grinceriez des dents, au contraire. Si vous étiez le Renard-Rouge…