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pas ça du tout. J’ai trop peur des incendies. La bonne nuit, David, mon ami.

Et sans plus me laisser le temps de protester il tira la porte, et je l’entendis tourner la clef de l’extérieur.

Je ne savais si je devais rire ou pleurer. Cette chambre était une vraie glacière, et le lit, que je découvris enfin, humide comme un trou à tourbe ; mais j’avais heureusement apporté mon ballot et mon plaid, et me roulant dans celui-ci, je m’étendis sur le parquet, tout contre le bois de lit, et ne tardai pas à m’endormir.

Aux premières lueurs du jour, j’ouvris les yeux pour me retrouver dans une grande chambre, tendue de cuir gaufré, garnie de beaux meubles de brocart, et éclairée par trois grandes fenêtres. Dix ans plus tôt, ou mieux vingt, cette chambre devait être aussi plaisante que possible à qui s’y endormait ou s’y éveillait ; mais l’humidité, la poussière, l’abandon, les souris et les araignées avaient fait de la besogne depuis lors. Un certain nombre de vitres, aussi, étaient cassées ; et du reste il en allait de même pour toute la maison, au point que je soupçonne mon oncle d’avoir, à une époque donnée, soutenu un siège contre ses voisins furieux, – menés peut-être par Jennet Clouston.

Cependant, le soleil brillait au-dehors ; et comme j’avais très froid dans cette malheureuse chambre, je heurtai et criai, tant que mon geôlier vint me délivrer. Il m’emmena derrière la maison, où il y avait un puits avec un seau, et me dit que je pouvais « m’y laver la figure si je le désirais ». Quand j’eus fait, je retrouvai le chemin de la cuisine, où il avait allumé le feu et préparait le porridge. Il y avait sur la table deux jattes et deux cuillers de corne, mais la même unique mesure de petite bière. Mes yeux durent se fixer sur ce détail avec quelque surprise, et mon oncle dut s’en apercevoir ; car il sembla répondre à ma pensée, en me demandant si je tenais à boire « de l’ale » – comme il disait.

Je lui répondis que c’était en effet mon habitude, mais qu’il n’avait pas à se mettre en frais.

– Non, non, dit-il, il faut ce qu’il faut.

Il prit dans le buffet un deuxième gobelet, puis, à ma grande surprise, au lieu de tirer de la bière, il versa dans l’un des gobelets tout juste la moitié de l’autre. Il y avait dans ce geste une sorte de noblesse qui me coupa la respiration. Certes, mon oncle était avare, mais il l’était de façon si parfaite que son vice en devenait quasi respectable.

Notre repas terminé, mon oncle Ebenezer ouvrit un tiroir, y prit une pipe en terre et une carotte de tabac, dont il coupa la dose voulue avant de la remettre sous clef. Puis il s’assit au soleil qui pénétrait par l’une des fenêtres, et fuma en silence. De temps à autre, ses yeux venaient rôder autour de moi, et il me lançait quelque question. Une fois, ce fut : « – Et votre mère ? » et sur ma réponse qu’elle aussi était morte, « – Oui, c’était une brave femme ! » Puis, après un nouveau silence, « – Quels sont donc ces amis à vous ? »

Je lui racontai que c’étaient divers gentlemen du nom de Campbell. En réalité, un seul, c’est-à-dire le ministre, avait jamais fait attention