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avez compris la marche des choses, et pouvez juger jusqu’à quel point vous avez lieu de vous fier à moi.

En réalité, il se montra plus pédantesque que je ne puis l’exprimer, et intercala une foule de citations latines, dans son discours ; mais celui-ci fut débité avec une belle franchise du regard et du geste, qui réussirent presque à vaincre ma défiance. De plus, je pouvais voir qu’il me traitait désormais comme si j’étais à l’abri du soupçon ; et ce premier point de mon identité paraissait bien établi.

– Monsieur, dis-je, en vous contant mon histoire, je vais remettre la vie d’un ami à votre discrétion. Donnez-moi votre parole qu’elle vous sera sacrée. En ce qui me concerne, je n’ai pas besoin d’autre garantie que votre mine.

Il me donna sa parole avec le plus grand sérieux.

– Mais, ajouta-t-il, voilà de bien inquiétants préliminaires ; si votre histoire contient quelque entorse à la légalité, je vous prie de vous souvenir que je suis homme de loi, et de glisser légèrement.

Je lui narrai mes aventures dès le début, et il m’écouta les lunettes sur le front et les yeux fermés, en sorte que je le croyais parfois endormi. Mais loin de là ! pas un mot ne lui échappait (je le constatai ensuite) et j’étais émerveillé tant par sa promptitude que par la précision de sa mémoire. Même les baroques noms gaéliques, si peu familiers, qu’il entendait pour la première fois, il les retint, et me les rappela des années plus tard. Mais quand je vins à prononcer tout au long le nom d’Alan Breck, il se passa une scène curieuse. La renommée de ce nom avait en effet couru toute l’Écosse, avec les nouvelles du meurtre d’Appin et l’offre de récompense, et il ne m’eut pas plus tôt échappé que le notaire se trémoussa dans son fauteuil et ouvrit les yeux.

– À votre place, monsieur Balfour, je ne dirais pas de noms sans motif sérieux, surtout les noms highlanders, dont beaucoup sont contraires à la loi.

– C’est vrai, dis-je, j’aurais peut-être mieux fait de me taire ; mais l’ayant laissé échapper, il ne me reste qu’à continuer.

– Pas du tout, dit M. Rankeillor. Je suis un peu dur d’oreille, comme vous avez pu le remarquer ; et je ne suis pas sûr du tout d’avoir saisi le nom correctement. Nous appellerons votre ami M. Thomson, si vous le voulez bien, – afin d’éviter les commentaires. Et à l’avenir, j’agirai de même avec tout Highlander que vous pourrez avoir à mentionner, – qu’il soit mort ou vivant.

Je comprenais très bien qu’il avait dû entendre comme il faut le nom, et qu’il avait déjà deviné que j’en arrivais au meurtre. Qu’il préférât simuler ainsi l’ignorance, ce n’était pas mon affaire ; je me bornai donc à sourire, ajoutai que ce nom n’avait guère la tournure highlander, et passai. Pour toute la suite de mon histoire, Alan fut M. Thomson ; ce qui m’amusa d’autant plus qu’il eût lui-même goûté ce subterfuge. De même, James Stewart devint le parent de M. Thomson ; Colin Campbell, M. Glen ; quant à Cluny, lorsque j’en fus à cette partie de mes aventures, je l’affublai du nom de « M. Jameson, chef highlander ».