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– Le brick s’est perdu le 27 juin, dit-il, consultant son registre, et nous voici le 24 août. Il y a là une lacune considérable, monsieur Balfour, de deux mois. Elle a déjà inquiété beaucoup vos amis ; et j’avoue que je ne serai pas satisfait que vous ne l’ayez comblée.

– Ma foi, monsieur, dis-je, ces deux mois n’ont été que trop bien remplis ; mais avant de poursuivre, j’aimerais être sûr que je parle à un ami.

– Nous tournons dans un cercle vicieux, dit l’avocat. Je ne puis être convaincu avant de vous avoir entendu. Je ne puis être votre ami avant d’être renseigné comme il faut. Si vous étiez plus confiant, cela vaudrait mieux pour vous. Et vous savez, monsieur Balfour, que nous avons dans ce pays un proverbe disant que ceux qui font le mal craignent aussi le mal.

– Vous ne devez pas oublier, monsieur, dis-je, que j’ai déjà souffert de ma confiance ; et que je fus embarqué comme esclave par l’homme même (si j’ai bien compris) dont vous gérez les affaires.

Je n’avais cessé de gagner du terrain avec M. Rankeillor, et je prenais plus d’assurance à mesure. Mais à cette saillie, que je lançai en souriant presque, moi aussi, il se mit à rire.

– Non, non, dit-il, cela ne va pas aussi mal, Fui, non sum[39]. J’ai été, en effet, l’agent d’affaires de votre oncle ; mais depuis que vous (imberbis juvenis custode remoto[40],) avez été courir la prétentaine dans l’ouest, il a passé beaucoup d’eau sous les ponts ; et si les oreilles ne vous ont pas tinté, ce n’est pas faute qu’on ait parlé de vous. Le jour même de votre naufrage, M. Campbell est arrivé dans mon bureau, vous réclamant à tous les vents. J’ignorais votre existence, mais j’avais connu votre père ; et d’après certaines choses de compétence (nous y viendrons tout à l’heure) j’étais disposé à craindre le pis. M. Ebenezer admit vous avoir vu ; il déclara (ce qui semblait improbable) vous avoir remis des sommes importantes ; et que vous étiez parti pour le continent d’Europe, dans l’intention de parfaire votre éducation, ce qui était plausible et digne d’éloges. Interrogé pourquoi vous ne l’aviez pas fait savoir à M. Campbell, il déposa que vous aviez exprimé le plus vif désir de rompre avec votre passé. Interrogé à nouveau sur le lieu de votre résidence, il affirma qu’il l’ignorait, mais vous croyait à Leyde. J’ai ici la minute de ses réponses. Je ne suis pas absolument certain que quelqu’un le crut, poursuivit M. Rankeillor en souriant ; et du reste il goûta si peu certaines de mes expressions, qu’il me mit à la porte de chez lui. Nous ne savions plus que faire ; car, en dépit des soupçons que nous pouvions garder, il n’y avait pas ombre de preuve. Juste à point, arrive le capitaine Hoseason, avec l’histoire de votre noyade ; tout était donc terminé sans autres conséquences que le chagrin de M. Campbell, le préjudice causé à ma bourse, et une nouvelle tache à la réputation de votre oncle, qui n’en avait nullement besoin. Et maintenant, monsieur Balfour, vous