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– Vous devriez me laisser porter votre paquet, dit-il, pour la neuvième fois peut-être depuis que nous avions quitté l’éclaireur au bord du loch Rannoch.

– Je le porte très bien, je vous remercie, dis-je, froid comme glace.

Alan rougit fortement :

– Je ne vous l’offrirai plus, dit-il. Je ne suis pas un homme patient, David.

– Je n’ai jamais dit que vous l’étiez, répondis-je, tout juste comme l’eût fait ridiculement un gamin de dix ans.

Alan ne me répliqua rien, mais sa conduite répondit pour lui. Il y a tout lieu de croire que, dorénavant, il s’accordait l’absolution plénière pour l’aventure de chez Cluny ; et, remettant son chapeau de côté, il marcha d’un air crâne, sifflant des airs, et me lançant des sourires obliques et provocateurs.

Nous devions, la troisième nuit, traverser l’extrême ouest du pays de Balquhidder. Il faisait pur et froid, il y avait de la gelée dans l’air, et un vent du nord qui dispersait les nuages et faisait briller les étoiles. Les torrents étaient gros, bien entendu, et emplissaient toujours les ravins de leur tumulte ; mais je notai qu’Alan ne songeait plus au Kelpie, et qu’il était d’excellente humeur. Quant à moi, le beau temps arrivait trop tard ; j’avais couché dans la boue si longtemps que (selon le mot de la Bible) mes habits mêmes « avaient horreur de moi » ; j’étais rompu de fatigue, affreusement mal à l’aise et cousu de douleurs et de frissons ; le froid du vent me transperçait, et son bruit m’emplissait les oreilles. Ce fut dans ce triste état que j’eus à supporter de la part de mon compagnon quelque chose qui ressemblait fort à une persécution. Il parlait beaucoup, et jamais sans allusion piquante. « Whig » était le meilleur qualificatif qu’il trouvât à me donner. « Voici, disait-il, voici un fossé à sauter pour vous, mon petit whig ! Vous êtes un si fier sauteur ! » Et ainsi de suite, tout le temps avec une voix railleuse et perfide.

C’était bien ma faute, à moi et à personne d’autre, je le savais ; mais j’étais trop misérable pour me repentir. Je me sentais incapable de me traîner beaucoup plus loin ; avant peu, il me faudrait me coucher pour mourir sur ces montagnes détrempées, comme un mouton ou un renard, et mes os blanchiraient là comme ceux d’un animal. Ma tête se perdait, sans doute ; mais peu à peu je prenais goût à cette idée, je trouvais enviable de mourir ainsi, seul dans le désert, où les aigles farouches environneraient mes derniers moments. Alan regretterait alors sa conduite, me disais-je ; il se souviendrait, après ma mort, de tout ce qu’il me devait, et ce souvenir lui serait une torture. Je continuai donc de la sorte, comme un petit sot et un mauvais cœur d’écolier malade, à nourrir ma vengeance contre un frère humain, alors que j’aurais dû plutôt me mettre à genoux et demander pardon à Dieu. Et au contraire, à chacune des attaques d’Alan, je m’applaudissais. « Ah ! me disais-je, je vous apprête mieux que cela ; quand je me coucherai pour mourir,