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Je n’aurais su l’imiter. Vous avez entendu des sauterelles bruire dans l’herbe, aux jours d’été ? Eh bien, je n’eus pas plus tôt fermé les yeux que mon corps, et surtout ma tête, mon estomac et mes poignets me parurent pleins de sauterelles bruissantes ; et je dus rouvrir mes yeux aussitôt, et m’agiter et me retourner, et me relever et me recoucher, et regarder le ciel qui m’éblouissait, ou les sauvages et répugnantes sentinelles de Cluny qui regardaient par-dessus la crête de la lande et conversaient en gaélique.

Telle fut la façon dont je me reposai, jusqu’au retour du messager. Cluny, rapporta-t-il, désirait nous voir ; il nous fallut nous relever et repartir. Alan était d’excellente humeur, son somme l’avait remis, il avait très faim, et envisageait agréablement la perspective d’un coup à boire et d’un plat de collops[31] chauds dont le messager lui avait dit deux mots. Pour ma part, la seule mention de nourriture me donnait la nausée. À ma mortelle fatigue s’ajoutait à présent une sorte de légèreté vertigineuse qui ne me permettait pas de marcher. J’allais tout de travers, comme un ivrogne ; le sol me semblait inconsistant comme une nuée, les montagnes légères comme des plumes, et l’air, plein de remous comme un torrent, m’emportait de çà de là. Enfin, une sorte d’effroi désespéré m’accablait, et j’aurais pleuré de me sentir en cet état.

Je vis Alan froncer les sourcils en me regardant ; et, le croyant fâché, j’éprouvai, à l’instar d’un enfant, une crainte irraisonnée. Je me rappelle aussi que je souriais, et ne parvenais pas à ne plus sourire, malgré tous mes efforts, car je sentais cette manifestation déplacée. Mais mon excellent compagnon n’avait dans l’esprit que bonté à mon égard ; deux des hommes me prirent sous les bras, et je fus emporté à une allure rapide (ou du moins qui me parut telle, car elle devait être assez modérée, en fait) à travers un dédale de torrents à sec et de ravins, au cœur de cette mélancolique montagne de Ben Adler.


XXIII. La Cage de Cluny

Nous arrivâmes enfin au bas d’un bois excessivement abrupt, qui escaladait la pente rocailleuse d’une montagne couronnée par une falaise nue.

– C’est ici, dit un de nos guides.

Et nous commençâmes l’ascension.

Les arbres se cramponnaient à la pente comme des marins aux étais