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Lorsque je réveillai Alan, il jeta un coup d’œil aux soldats d’abord, puis au repère et à la position du soleil, et fronça les sourcils en me lançant un bref regard, à la fois menaçant et inquiet. Mais ce fut là tout le reproche que je reçus de lui.

– Qu’allons-nous faire ? demandai-je.

– Nous allons jouer les lièvres, dit-il. Voyez-vous cette montagne là-bas ? – et il m’en désignait une à l’horizon nord-est.

– Oui, dis-je.

– Eh bien donc, dirigeons-nous dessus. Elle se nomme Ben Adler ; c’est une montagne âpre et déserte, pleine de trous et de bosses, et pourvu que nous y soyons avant le matin, nous sommes sauvés.

– Mais, Alan, m’écriai-je, il nous faudra couper au beau milieu de ces soldats qui arrivent !

– Je le sais, dit-il, mais si nous nous laissons rabattre sur Appin, nous sommes deux hommes morts. Ainsi donc, David mon ami, du nerf !

Là-dessus il se mit à courir à quatre pattes, d’une vélocité incroyable, comme si c’eût été là son allure naturelle. Cependant, il ne cessait de faire des détours, en suivant les parties basses du marais qui nous dissimulaient le mieux. En de certains endroits, les buissons avaient été brûlés, ou du moins atteints par le feu ; et il nous montait à la figure (car nous avions le nez près de terre) une poussière aveuglante et asphyxiante, aussi subtile que de la fumée. Nous n’avions plus d’eau depuis longtemps ; et cette façon de courir à quatre pattes entraîne une faiblesse et une fatigue écrasantes, qui vous brisent les membres et font se dérober vos poignets sous votre poids.

De temps à autre, il est vrai, quand nous trouvions un fourré convenable, nous nous y arrêtions pour souffler, et, en écartant les branches, nous regardions derrière nous les dragons. Ils ne nous avaient pas vus, car ils ne se détournaient pas. Ils étaient un demi-régiment, peut-être, et couvraient bien deux milles de terrain, qu’ils battaient à fond, à mesure de leur avance. Je ne m’étais pas éveillé trop tôt : une minute de plus et il nous aurait fallu fuir sous leur nez, au lieu de leur échapper latéralement. Même dans ces conditions, la moindre anicroche pouvait nous perdre ; et à chaque fois qu’un coq de bruyère s’enlevait des buissons avec un claquement d’ailes, nous gardions une immobilité de mort et n’osions plus respirer.

La douleur et la faiblesse de mes membres, l’épuisement de mon cœur, les égratignures de mes mains et l’irritation de ma gorge et de mes yeux dans la fumée continuelle des cendres et de la poussière m’étaient bien vite devenus tellement insupportables que j’aurais volontiers renoncé à poursuivre. Seule, la crainte d’Alan me prêtait une sorte de courage artificiel qui me permettait d’avancer. Quant à lui (et l’on doit se souvenir qu’il était encombré de son grand surtout), son visage avait d’abord passé au cramoisi, mais à la longue ce cramoisi se marbra de taches blanches ; il avait la respiration rauque et sifflante ; quand nous faisions halte et qu’il me chuchotait ses avis à l’oreille, sa voix était