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Une fois seulement, comme il se hasardait à lever les yeux plus haut, nos regards se rencontrèrent.

Jamais voleur pris la main dans la poche ne se montra aussi visiblement décontenancé.

Cela me donna de quoi rêver, en me demandant si sa timidité tenait à ce qu’il avait depuis trop longtemps perdu l’habitude de la société des hommes, si elle se dissiperait après une courte épreuve, et si mon oncle pourrait devenir un homme tout différent.

De cette rêverie je fus tiré par sa voix tranchante.

— Il y a longtemps que votre père est mort ? demanda-t-il.

— Trois semaines, monsieur, répondis-je.

— C’était un homme cachottier qu’Alexandre, un homme secret, silencieux. Quand il était jeune, il ne parlait jamais beaucoup. Il n’a jamais dû parler beaucoup de moi.

— Je n’ai jamais su, jusqu’au moment où vous me l’avez appris vous-même, qu’il eût un frère.

— Vraiment ! Vraiment ! dit Ebenezer, il n’a pas même parlé des Shaws ?

— Il n’a pas même prononcé ce nom-là, monsieur, dis-je.

— Voyez un peu ! Quelle étrange nature d’homme ! dit-il.

Malgré tout, il avait l’air singulièrement content ; mais était-il content de lui-même ou de moi ? ou de la conduite de mon père ?

C’était plus que je ne pouvais en deviner.

Pourtant il paraissait certain qu’il n’éprouvait plus cette antipathie ou ce mauvais vouloir qu’il avait ressenti au premier coup d’œil jeté sur ma personne, car bientôt il se redressa comme d’un bond derrière moi, et me donna une tape sur l’épaule en s’écriant :