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vres diables qui avaient péri quand le brick fit le suprême plongeon.

À tout cela, à la perte même du brick, j’avais survécu. J’avais traversé sans une égratignure ces privations et ces terribles dangers.

Ma seule pensée eut dû être une pensée de reconnaissance, et cependant je ne pouvais contempler cet endroit sans m’apitoyer sur autrui et éprouver un frisson au ressouvenir de mon effroi.

J’étais tout occupé par ces réflexions quand, soudain, M. Rankeillor poussa un cri, fourra brusquement ses mains dans ses poches, et se mit à rire.

— Ah ! bien, s’écria-t-il, voilà qui est une vraie farce. Après vous en avoir tant dit, j’ai oublié mes lunettes.

À ces mots, tout naturellement, je compris où il voulait en venir avec son histoire.

Je devinai que, s’il avait laissé ses lunettes chez lui, c’était à dessein, pour profiter de l’aide qu’Alan pourrait lui donner sans se trouver dans une fausse position, et obligé de le reconnaître.

Et en effet, c’était là une bonne idée, car en mettant les choses au pire, qui pouvait obliger M. Rankeillor à indiquer, sous la foi du serment, l’identité de mon ami, et qui pouvait le contraindre à porter un témoignage qui me fût désavantageux ?

Et pourtant, il avait mis bien du temps à s’apercevoir de ce qui lui manquait. Il avait parlé à un bon nombre de gens qu’il avait reconnus pendant que nous traversions la ville, et j’avais quelque raison de croire qu’il y voyait assez bien.

Dès que nous eûmes dépassé l’auberge de Hawes, où j’aperçus le patron fumant sa pipe sur la porte, et qui à ma grande surprise n’avait pas vieilli depuis notre