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cette pièce, je retire mes excuses. » Et le vieillard, me posant sa main sur le bras, de me dire avec un sourire vraiment céleste, tant il y avait de modération, d’ironie, de bonhomie et de connaissance du monde : « Ah ! monsieur, vous êtes bien jeune ![1] »


Il était bien jeune, en effet, bien ardent alors, très prompt aux colères et aux enthousiasmes, avec des élans de gaieté folle.


« Ceux qui ont écrit sur Stevenson d’après des impressions postérieures au temps dont je parle, remarque M. Edmund Gosse, me semblent ne pas faire ressortir suffisamment la gaieté de Stevenson à cette époque. C’était sa vertu cardinale en ces jours anciens. Une joyeuseté enfantine exultait, dansait en lui : on eût dit qu’il bondissait par-dessus les collines de la vie. Il ruisselait littéralement de bons mots, de plaisanteries ; sa gravité intime ou sa passion dans les choses abstraites cédaient à chaque instant la place à l’humeur folâtre, et quand il avait bâti sur le sable un de ses châteaux intellectuels, on était certain qu’une vague de belle humeur viendrait le balayer. Je ne saurais, quand il irait de ma vie, me rappeler aucun de ses bons mots, et écrits de sang-froid, ils pourraient paraître peu plaisants. Ils tenaient moins de l’esprit que de la nature humaine, de l’observation de la vie à des points de vue bien divers. Je désire beaucoup, cependant, qu’on ne laisse pas dans l’oubli son amour du rire bruyant, parce que dans la suite ce trait fut atténué, mais jamais entièrement effacé par la mauvaise santé, par les soucis et l’envahissement des années. Il était souvent, dans le vieux temps, d’une sottise excessive, délicieuse, sot de la sottise d’un écolier de génie et je crains que notre rire n’ait parfois agacé les oreilles des vieilles gens[2]. »

  1. R. L. Stevenson’s letters, II, p. 94.
  2. Gosse, Criticals Kitcats, 1896, p. 278 et sq.