Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant nos marches de nuit, c’était un bruit solennel que celui de toutes ces voix montant des vallées, et tantôt grondant comme le tonnerre, tantôt aigu comme un cri de colère.

Je compris alors fort bien l’histoire du Kelpie des eaux, ce démon aquatique qui ne cesse de gémir et de hurler jusqu’à ce qu’un infortuné voyageur se présente.

Alan vit que j’y croyais, ou du moins que j’étais disposé à y croire ; et quand le cri de la rivière devenait plus aigu qu’à l’ordinaire, je fus peu surpris, quoique naturellement scandalisé, de le voir se signer à la façon des catholiques.

Pendant cette affreuse période de nos pérégrinations, nous n’avions plus aucune familiarité, pas même celle du langage. La vérité, qui sera ma meilleure excuse, c’est que je soupirais après la tombe.

Mais en outre, la nature m’avait fait naître peu enclin à l’oubli, lent à m’offenser, plus lent à oublier une offense, et maintenant j’étais furieux à la fois contre mon compagnon et contre moi.

Pendant près de deux jours il fut d’une bonté infatigable. Il gardait le silence, à la vérité, mais m’aidait. Il espérait toujours, comme je le voyais bien, que mon mécontentement finirait par se dissiper.

Pendant le même temps, je restai renfermé en moi-même, entretenant ma mauvaise humeur, refusant ses services avec brusquerie, et ne le regardant pas autrement que s’il eût été un buisson ou une pierre.

La seconde nuit, ou plutôt la première lueur du troisième jour, nous trouva sur une hauteur tout à fait découverte, si bien que nous ne pûmes nous conformer à notre usage quotidien qui consistait à manger et à dormir aussitôt.