Notre seule nourriture était le drammach et un morceau de viande froide que nous avions emporté de la Cage.
Quant à la boisson, Dieu sait si l’eau nous manquait.
Ce fut une époque terrible, et rendue plus terrible encore par l’aspect sombre de la saison et du pays.
Je n’avais jamais chaud. Mes dents claquaient. Je souffrais beaucoup d’une inflammation de la gorge, analogue à celle que j’avais eue dans l’île.
Je sentais dans le côté un point douloureux qui ne me quittait jamais, et quand je dormais sur ma couche humide, sous une pluie battante qui balayait la boue liquide au-dessous de moi, c’était pour revivre en imagination les plus fâcheux accidents de mes aventures, pour voir la tour de Shaws illuminée par l’éclair, Rançon descendu au gaillard d’avant sur le dos des hommes, Shuan râlant sur le plancher de la dunette, ou Colin Campbell saisissant à pleine main le devant de son habit.
De ces sommeils entrecoupés, je me réveillais en pleine nuit pour m’asseoir dans la même flaque où j’avais dormi, pour faire un repas de drammach froid.
La pluie me cinglait âprement la figure, ou me coulait dans le dos en filets glacés. Le brouillard nous enfermait comme dans une chambre obscure, et parfois dissipé par une rafale, s’entr’ouvrait soudain pour nous montrer à quelques pas de nous le gouffre d’une ténébreuse vallée, où les cours d’eau faisaient entendre leurs appels.
Le bruit d’un nombre infini de rivières m’arrivait de tous côtés. Dans cette pluie incessante, les sources des montagnes avaient débordé ; chaque vallon se remplissait d’eau comme une citerne ; chaque ruisseau devenait torrent, se gonflait et débordait.