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me mettre sur mon séant, retomber encore, regarder le ciel qui m’éblouissait, ou contempler les sentinelles sauvages et déguenillées de Cluny, qui regardaient furtivement par-dessus la colline, tout en jacassant en langue gaélique.

Voilà qui me tint lieu de repos jusqu’au retour du messager.

Alors, comme il paraît que Cluny serait enchanté de nous recevoir, nous devions nous remettre debout et partir.

Alan était dans d’excellentes dispositions. Son sommeil l’avait beaucoup ragaillardi. Il avait grand’faim et envisageait avec plaisir la perspective d’une gorgée à boire et d’une tranche de rôti bien chaud, dont le messager avait dû lui dire quelques mots.

Quant à moi, j’avais des nausées rien qu’à entendre parler de manger.

Je m’étais jusqu’alors senti lourd comme un cadavre.

Maintenant j’éprouvais une sorte de légèreté effrayante qui ne me permettait pas de marcher au pas.

J’allais à la dérive comme un fil de la Vierge.

Le sol me paraissait fait d’un nuage ; les nuages avaient l’air d’être de la plume ; l’air me semblait agité par un courant, comme la pente d’un ruisseau et me portait tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.

Et néanmoins un sentiment d’horrible désespoir pesait sur mon esprit, et j’étais sur le point de pleurer de mon impuissance.

Je vis Alan froncer les sourcils en me regardant.

Je supposai que c’était de colère, et cela me fit passer dans le cœur un léger éclair de crainte, comme celle que peut éprouver un enfant.