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au centre de la lande, une fureur me monta soudain à la pensée que je devais me traîner tout pantelant et manger la poussière comme un ver.

D’après ce que j’avais lu dans les livres, je pense que bien peu de ceux qui ont tenu une plume ont connu réellement la fatigue.

Sans cela ils en eussent parlé avec plus de force. Je ne me souciais point de ma vie, tant passée que future. Je me souvenais à peine qu’il y eût au monde un garçon nommé David Balfour. Je ne pensais aucunement à moi-même. J’étais préoccupé d’abord de chaque nouveau pas à faire, et qui serait le dernier.

J’y pensais avec désespoir et je songeais avec haine à Alan, qui en était la cause.

Alan, qui était un soldat, faisait ce qu’il avait à faire. Le rôle de l’officier consiste à obliger les hommes à persévérer dans un travail qui les conduit à un but qu’ils ne connaissent pas, alors qu’ils préféreraient s’étendre là où ils se trouvent et se faire tuer, s’ils avaient la liberté de choisir.

Et je crois pouvoir dire que j’eusse fait un assez bon simple soldat, car en ces dernières heures-là, il ne me vint jamais à l’esprit que j’eusse à choisir. Je crus que je n’avais qu’à obéir aussi longtemps que j’en serais capable, et à mourir en obéissant.

L’aube du jour parut enfin, après des années, à ce qu’il me semblait.

À ce moment-là, nous avions échappé aux dangers les plus pressants, et nous pouvions marcher debout comme des hommes, au lieu de ramper comme des bêtes.

Mais, grand Dieu ! quel couple nous devions former, ployés en deux comme des grands-pères, chancelant comme de petits enfants, et aussi pâles que des morts !

Nous ne nous disions plus un mot. Chacun de nous