prises sur maint auteur, Stevenson possédait un instrument parfait, le plus vibrant style anglais qu’ait manié écrivain de notre temps.
Il comparait plaisamment ses calques, ses copies, ses imitations à des grimaces de jeunes ouistitis.
« J’ai ainsi joué le rôle de singe empressé, avoue-t-il quelque part, auprès de Hazlitt, de Lamb, de Wordsworth, de Sir Thomas Brown, de Defoé, de Hawthorne, de Montaigne, de Baudelaire et d’Obermann. Je me rappelle un de ces tours de singe qui était intitulé La vanité de la morale et qui devait avoir pour seconde partie La vanité de la science. Mais la seconde partie ne fut jamais commencée. Quant à la première, elle fut écrite jusqu’à trois fois (c’est là le motif qui me décide à la faire surgir de ses cendres comme un fantôme) : la première dans la manière de Hazlitt ; puis dans celle de Ruskin, qui avait jeté sur moi un sort passager ; enfin une troisième fois en un laborieux pastiche de sir Thomas Brown. Il en fut ainsi de mes autres ouvrages : Cain, poème épique qui, à la griffe magistrale près, était une imitation de Sordello ; Robin Hood, conte en vers, prit une route intermédiaire, éclectique à travers les champs de Keats, Chaucer et Morris. Dans Monmouth, tragédie, je me reposai sur le sein de M. Swinburne. Dans mes poésies lyriques, aux pieds goutteux, je suivis bien des maîtres. Dans mon premier projet du Pardon Royal, tragédie, je m’étais engagé sur la piste d’un aussi grand personnage que Webster lui-même. En refaisant cette tragédie, ma versalité déséquilibrée m’avait entraîné à reconnaître la suzeraineté de Congrève et à concevoir, en conséquence, mon affabulation dans une forme moins sérieuse, car ce n’était point la versification de Congrève, mais son admirable prose que je goûtais et que je cherchais à copier… Et je pourrais continuer aussi sans fin, à travers tous mes romans avortés, et jusqu’à mes dernières pièces