Le vaisseau faisait voiles pour les Carolines, et vous n’allez pas supposer que j’irais dans ce pays-là comme un simple exilé.
Le commerce allait alors fort mal. Depuis cette époque, et grâce à la révolte des colonies et la formation des États-Unis, il a été peu à peu réduit à rien, mais dans ces temps de ma jeunesse, on vendait encore des blancs comme esclaves aux plantations ; telle était la destinée à laquelle m’avait condamné la scélératesse de mon oncle.
Le mousse de cabine, Rançon, qui m’avait, le premier, appris ces atrocités, venait de temps en temps de la dunette, où il logeait et faisait son service, tantôt pansant quelque affreuse contusion et étouffant ses cris de douleur, tantôt braillant sur la cruauté de M. Shuan.
Cela me faisait saigner le cœur, mais les matelots avaient un grand respect pour le premier maître, qui, disaient-ils, était le seul vrai marin de toute cette carcasse, et qui n’était pas si mauvais que cela quand il n’avait pas bu.
Et, d’ailleurs, je découvris une singulière particularité au sujet de nos deux lieutenants, savoir que M. Riach, quand il n’avait pas bu, était maussade, bourru et dur, tandis que dans ce même état, M. Shuan n’eût pas fait du mal à une mouche.
Je fis des questions au sujet du capitaine, mais on me dit que la boisson ne produisait pas le moindre effet sur cet homme de fer.
Je fis de mon mieux, à l’égard de Rançon, dans le peu de temps dont je disposai, pour, de cette pauvre créature, faire sinon un homme du moins un être semblable à un jeune garçon. Mais son intelligence avait à peine quelque chose d’humain.