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qu’il vous traite ? Comment ! vous n’êtes pas un esclave, pour être ainsi malmené.

— Non, dit le pauvre écervelé, changeant de ton aussitôt… Et il s’en apercevra bientôt.

Tenez, voyez, reprit-il en me montrant un grand couteau de table, qu’il prétendit avoir volé. Oh ! oui, qu’il essaye de recommencer, je l’en défie, je l’arrangerai. Oh ! ce ne sera pas le premier.

Et il accompagna cette promesse d’un pauvre juron, des plus niais, des plus hideux.

Je n’ai jamais ressenti envers qui que ce soit dans ce vaste monde autant de pitié que pour cette créature détraquée, et il me vint à l’esprit la conviction que le brick, le Covenant avec son nom dévot, n’était rien moins qu’un enfer flottant.

— N’avez-vous pas d’amis ? demandai-je.

Il me répondit qu’il avait eu son père, dans un port anglais, je ne sais plus lequel.

— C’était, lui aussi, un rude homme, mais il est mort.

— Grand Dieu, m’écriai-je, ne pourriez-vous pas gagner honnêtement votre vie à terre ?

— Oh ! non, me dit-il en clignant de l’œil, et prenant un air très malin, on me mettrait à un métier, et je connais un tour qui en vaut deux, des métiers. Oh ! pour cela, oui !

Je lui demandai quel métier pouvait être aussi terrible que celui qu’il exerçait, où sa vie était sans cesse menacée, non seulement par le vent et la mer, mais encore par l’horrible cruauté des hommes qui étaient ses maîtres.

Il me dit que c’était bien vrai, et alors il s’élança dans un éloge de la vie du marin ; il disait que c’était plaisir de descendre à terre avec de l’argent dans sa