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j’avais une opinion très avantageuse de ma perspicacité.

En allant frapper à sa porte, je n’étais guère plus qu’un solliciteur, j’étais à peine un peu plus qu’un enfant ; il avait répondu par la perfidie et la violence à mon appel ; ce serait un beau dénoûment que de prendre le dessus et de le pousser comme un troupeau de moutons.

Je restai là assis à soigner mon genou devant le feu, en souriant, et je me vis en imagination surprenant ses secrets jusqu’au bout et arrivant à être le roi et le maître de cet homme.

Le sorcier d’Essendean, dit-on, avait fait un miroir dans lequel les gens pouvaient voir l’avenir. Ce devait être avec une autre matière que du charbon embrasé, car dans tous les tableaux qui défilaient devant moi, pendant mon immobilité, je ne voyais nulle part un vaisseau, nulle part un marin coiffé d’un bonnet de fourrure, nulle part une grosse trique levée sur ma tête indocile, nulle part le moindre signe de toutes ces tribulations qui étaient prêtes à fondre sur moi.

Pour le moment, tout gonflé d’outrecuidance, je montai et rendis la liberté à mon prisonnier.

Il me souhaita poliment le bonjour, je le lui rendis, en laissant tomber sur lui un sourire du haut de ma suffisance.

Nous nous mîmes bientôt à table pour déjeuner, comme nous aurions pu le faire la veille.

— Eh bien, monsieur, dis-je d’un ton narquois, n’avez-vous donc plus rien à me dire.

Et alors, comme il ne me faisait aucune réponse intelligible, je repris.

— Il faudrait bientôt nous expliquer l’un avec l’autre. Vous m’avez pris pour un béjaune, un Jeannot