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— Pourquoi diable me demandez-vous cela ? me dit-il en m’empoignant par le devant de mon gilet, et me regardant cette fois bien dans les yeux.

Les siens, qui étaient petits et mobiles, brillants comme ceux d’un oiseau, clignotaient et papillotaient étrangement.

— Que voulez-vous faire ? demandai-je d’un ton très calme, car j’étais beaucoup plus fort que lui, et il n’était pas facile de m’effrayer. Lâchez mon gilet. Ce ne sont pas des façons convenables.

Mon oncle parut faire un grand effort sur lui-même :

— Voyez-vous, David, mon garçon, me dit-il, vous ne devriez jamais me parler de votre père. Sur ce point vous avez fait erreur.

Il resta assis un moment en silence, frissonnant et regardant d’un œil clignotant dans son assiette, puis il dit :

— Je n’ai pas eu d’autre frère que lui.

Mais il n’y avait rien d’affectueux dans sa voix.

Alors il reprit sa cuiller et se remit à manger, toujours agité d’un tremblement.

Cette dernière circonstance, d’avoir porté la main sur ma personne et d’avoir montré soudain son amitié pour mon père mort, était si éloignée de ma compréhension que j’éprouvai à la fois de la crainte et de l’espoir.

D’une part, je commençais à croire que mon oncle était peut-être fou et pouvait être dangereux ; d’autre part, il se présentait à mon esprit une pensée que je n’appelais pas, que je cherchais même à écarter, le souvenir d’une certaine ballade que j’avais jadis entendu chanter, dans laquelle il était question d’un pauvre garçon qui était héritier légitime, et d’un pa-