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« Dieu me garde ! s’écria-t-elle, vous avez une figure angélique ! et c’est vous qui voulez épouser la fille d’un farouche Highlander ! David, mon ami, je crois que nous ferons bien de faire ce mariage, ne serait-ce que pour voir ce que seraient les rejetons ! Et maintenant, continua-t-elle, vous ne gagnerez rien à rester ici, car la donzelle est absente et je crains fort que la vieille femme ne soit pas une compagnie suffisante pour vous. D’autant plus que je n’ai personne pour défendre ma réputation et que je suis restée assez longtemps avec un séduisant jeune homme ! Vous reviendrez un autre jour pour vos « six pence », me cria-t-elle quand j’eus fait quelques pas.

Mon escarmouche avec cette dame déconcertante m’avait donné une hardiesse que je n’avais point eue encore. Depuis deux jours, l’image de Catriona était restée mêlée à toutes mes méditations, elle en faisait le fond à tel point, que je ne pouvais descendre en moi-même sans la découvrir dans un coin ; elle prenait place maintenant au premier rang, il me semblait la toucher, elle que je n’avais jamais touchée qu’une seule fois. Mon être entier s’élançait vers elle avec un élan indicible, le monde me semblait un vaste désert où les hommes marchent et se croisent comme des soldats en campagne, remplissant leur devoir chacun avec la dose de vaillance dont il est capable. Dans ce vide, Catriona était seule à m’offrir un peu de bonheur. Je me demandais cependant comment il m’était possible, dans un moment de si grand péril, de penser à une jeune fille, et d’un autre côté, en songeant à mon jeune âge, j’étais confus. J’avais en effet bien autre chose à faire ; mes études à compléter, une carrière à choisir, une place à prendre dans le monde. J’avais tout à apprendre avant de prouver à moi-même et aux autres que j’étais un homme, et je me rendais compte qu’il était malsain pour moi d’être déjà