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mière entrevue que je ne pouvais discerner. Plus tard, j’appris pourtant quelque chose : les heures du samedi avaient été mises à profit, on avait interrogé mon commissionnaire, et ma visite à Charles Stewart était connue. On en avait conclu que j’étais lié avec James Stewart et Alan et qu’il y avait lieu de soupçonner une correspondance entre ce dernier et moi. De là, cette claire insinuation qui m’avait été donnée par le moyen du clavecin.

Au milieu du morceau de musique, une des jeunes misses, qui était à la fenêtre donnant sur l’impasse, appela ses sœurs en disant : « Les yeux gris sont là ! ».

Toute la famille courut aussitôt à la fenêtre et se pressa pour mieux voir.

« Venez, monsieur Balfour, me crièrent-elles, venez voir, c’est la plus belle des créatures ! Elle rôde dans la rue depuis quelques jours avec quelques misérables montagnards et pourtant elle a l’air d’une dame. »

Je n’avais pas besoin de regarder et je ne regardai ni longtemps ni deux fois. J’avais peur d’être vu par elle à la fenêtre de ce salon, pendant que son père implorait peut-être la grâce de sa vie et lorsque je venais de rejeter ses demandes de secours. Ce seul regard cependant m’avait donné meilleure opinion de moi-même et je me sentis tout à coup moins timide en face de ces demoiselles. Elles étaient belles à coup sûr, mais Catriona était belle aussi et avait du feu dans le regard. Autant la beauté des unes me glaçait, autant celle de l’autre semblait m’attirer. Je me souvenais avec quelle facilité nous avions causé ensemble ; si je ne trouvais pas maintenant un mot à dire à ces belles filles, ce devait être leur faute. Mon embarras commençait à être mêlé d’un certain degré d’amusement. En voyant la tante me sourire et les trois nièces (qui semblaient avoir les ordres de « Papa » écrits sur le front) m’entourer comme un enfant, j’aurais presque trouvé le courage de rire.