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« Vous entendez, dit-elle, je compose aussi la poésie, seulement elle ne rime pas. » Et elle continua :

Je suis miss Grant, fille de l’avocat,
Vous êtes je crois David Balfour.

Je ne lui cachai pas combien son talent me charmait.

« Quel est le titre de votre chanson ? me dit-elle.

— Je ne sais pas le titre, je l’appelle la chanson d’Alan. »

Elle me regarda en face.

« Je l’appellerai la chanson de David, dit-elle, quoiqu’elle ne ressemble pas à celle que votre homonyme d’Israël jouait devant Saül, et je doute fort que ce roi l’eût appréciée, car ce n’est que de la piètre musique. Je n’aime pas l’autre nom. Ainsi, si vous désirez entendre de nouveau ce chant, il faudra me demander « la chanson de David ».

Cela fut dit avec une intonation qui me donna une secousse au cœur. Je lui posai cette question :

« Pourquoi cela, miss Grant ?

— Parce que si jamais vous veniez à être pendu je mettrais en vers vos dernières paroles et je les chanterais sur cet air. »

Cela me fit voir qu’elle était — en partie du moins — au courant de mon histoire et de mon péril. Que savait-elle au juste ? il m’était difficile de le deviner. Elle savait, en tout cas, que le nom d’Alan était dangereux et elle avait pris ce moyen pour m’avertir de ne pas le prononcer. Il était clair aussi qu’elle me croyait accusé de quelque crime. Je devinai que ses derniers mots (qu’elle avait fait suivre d’ailleurs d’une musique bruyante) lui avaient servi à arrêter la conversation, et je demeurai près d’elle, affectant d’écouter et d’admirer, mais en réalité absorbé dans mes réflexions. Cette jeune fille aimait le mystère et il y en avait certainement dans cette pre-