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pas la moindre, mais j’en ressentais d’autant plus pour Catriona. Parfois, il nous pressait de causer et de le distraire par notre gaieté, ce qui était une tâche difficile, vu l’état de nos relations. Parfois, il retombait dans sa tristesse et se répandait en plaintes et en regrets sur sa patrie et ses amis, ou encore, il nous chantait des chansons écossaises.

« Voici, disait-il, un des chants mélancoliques de mon pays natal. Vous pourrez vous étonner de voir pleurer un vieux soldat, et vraiment je crois que cela resserre les liens de notre amitié, mais les notes de ces airs, je les ai dans le sang, et ces paroles viennent tout droit de mon cœur. Quand je pense à mes montagnes rougeâtres, aux oiseaux qui y font leurs nids, aux ruisseaux qui serpentent dans le fond des vallées, je sens que je ne rougirais pas de mes larmes devant un ennemi ! »

Il se mettait alors à chanter et me traduisait les paroles avec un visible mépris pour la langue anglaise. « Ce couplet signifie, m’expliquait-il, que le soleil est couché, la bataille finie, et les braves guerriers vaincus… » « Celui-ci veut dire que les étoiles les voient s’enfuir de toutes parts vers la terre étrangère, ou bien demeurer morts dans leurs montagnes, où ils ne pousseront plus jamais leur cri de guerre et ne baigneront plus leurs pieds dans les torrents de la vallée. » « Si vous compreniez seulement quelques mots de notre langue, vous pleureriez aussi, car nos chants sont incomparables et c’est de la dérision de les traduire en anglais. »

Je n’étais pas dupe de son hypocrisie ; cependant, je ne pouvais lui refuser une certaine dose de sensibilité et je ne l’en méprisais que davantage. Je m’irritais de voir Catriona si occupée de ce vieux coquin, les yeux pleins de larmes lorsqu’il pleurait, alors que sa tristesse venait surtout des nombreuses bouteilles qu’il