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nous avions passé tant d’heures délicieuses, auprès de cette cheminée dont la flamme avait éclairé nos élans de tendresse elle resta seule, croyant avoir offert imprudemment son amour et se figurant que cet amour avait été repoussé.

Et pendant ce temps, j’étais seul de mon côté, faisant de tristes réflexions sur la fragilité humaine et sur la pruderie féminine. Jamais, deux pauvres êtres ne se sont rendus malheureux plus inutilement, et n’ont été victimes d’un pire malentendu !

Quant à James, il ne s’occupait point de nous, et s’absorbait dans ses affaires d’argent, sa gourmandise et ses bavardages, toujours les mêmes.

Vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées, qu’il m’avait emprunté de l’argent : il m’en demanda une seconde fois et je lui refusai, sans le fâcher d’ailleurs ; il prenait tout avec un air de générosité bienveillante qui ne pouvait manquer d’en imposer à sa fille ; et la façon qu’il avait de parler de lui, jointe à ses manières distinguées, disposaient en sa faveur. Quelqu’un qui n’avait rien à démêler avec lui pouvait facilement s’y laisser prendre. Quant à moi, après deux ou trois entrevues, je le connus à fond, je le jugeai foncièrement égoïste, et j’écoutais ses discours sur « les pauvres gentlemen des Highlands » et sur « la puissance de son pays et de ses amis », avec l’attention que l’on prête au babil d’un perroquet.

Le plus curieux, c’est qu’il arrivait à croire lui-même une partie de ce qu’il racontait ; il était tellement habitué à mentir, qu’il savait à peine quand il disait ou non la vérité ; ses moments de chagrin seuls étaient sincères.

Il y avait des jours où il se montrait affectueux, discret, aimable, caressant la main de sa fille et me priant de leur tenir compagnie si j’avais la moindre amitié pour lui ; inutile de dire que je n’en éprouvais