paraissait un peu sur la réserve, quoique sans humeur. Quant à moi, pendant la promenade et à notre retour, quand elle eut mis ma fleur dans l’eau, je me demandais « quelle énigme est-ce qu’une femme ? » Parfois, je me disais que c’était la chose la plus absurde du monde qu’elle ne se fût pas aperçue de mon amour ; parfois, je pensais qu’elle s’en était aperçue depuis longtemps, mais que, par un sentiment de pudeur, elle dissimulait sa découverte.
Nous sortions tous les jours ; dans les rues, à la campagne, je me sentais plus sûr de moi et je me relâchais un peu de ma prudence ; puis je n’avais pas Heineccius. Ces heures de récréation étaient un vrai repos pour moi et pour la pauvre enfant, un grand bonheur. Quand je rentrais à l’heure convenue, je la trouvais prête et heureuse de la perspective de la promenade, qu’elle tâchait de prolonger le plus possible, paraissant redouter (comme moi, du reste), l’heure du retour. Il n’y eut bientôt plus un champ dans les environs de Leyde, à peine une rue ou un sentier où nous n’eussions flâné.
En dehors de ces promenades, je lui avais défendu de quitter sa chambre, de peur qu’elle ne rencontrât quelqu’un de connaissance, ce qui aurait rendu notre situation plus difficile. Pour la même raison, je ne voulus pas la laisser aller à l’église et je n’y allai pas moi-même. Nous faisions nos prières chez nous, en particulier ; j’espère que c’était d’un cœur pur, mais, pour ma part, je sais bien que c’était avec un esprit distrait. Rien ne me troublait tant que de me voir agenouillé auprès d’elle, seuls devant Dieu, comme mari et femme.
Un jour qu’il neigeait très fort, je pensai qu’il était impossible de sortir et je fus étonné de la trouver prête.
« Je ne veux pas renoncer à notre promenade, s’écria-t-elle ; à la maison, David, vous n’êtes jamais aimable.