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qu’il n’était prudent peut-être… et Catriona s’élança dans le vide. Je fus assez heureux pour la saisir et les pêcheurs vinrent à mon aide tout en évitant de chavirer. Elle se retint à moi une seconde avec force, respirant vite et fort, et nous étions installés à nos places avant qu’elle eût lâché mes mains. Le capitaine Sang et les passagers nous crièrent un long adieu et nous voguâmes vers la côte.

Dès que Catriona fut un peu revenue à elle, elle me lâcha les mains, mais ne souffla plus un mot, pas plus que moi, du reste ; le bruit du vent et le roulement des vagues rendaient d’ailleurs la conversation difficile. Notre canot n’avançait qu’avec peine, et la Rose avait presque disparu à nos yeux, avant que nous fussions à l’entrée du port.

Dès que nous fûmes en eau calme, le patron, selon l’usage incourtois des Hollandais, arrêta son bateau et nous demanda le prix du passage ; deux « florins » (environ trois shillings et 3 pence). Catriona se récria avec vivacité et assura que le capitaine lui avait dit qu’elle n’aurait qu’un shilling à payer. « Croyez-vous, ajouta-t-elle, que je me serais embarquée sans m’être informée du prix auparavant ? » Le patron lui répondit grossièrement dans une langue où les jurons seuls étaient anglais, jusqu’à ce que, la voyant près de pleurer, je glissai six shillings dans la main du bonhomme et il voulut bien en accepter un autre d’elle. Cette petite scène m’avait étonné, je n’aime pas à voir les gens défendre leur bourse avec tant de passion : ce fut avec une certaine froideur que je demandai à Catriona où elle avait rendez-vous avec son père.

« On m’indiquera où il est, chez un brave marchand écossais du nom de Sprott, » dit-elle, puis, tout d’une haleine, elle ajouta : « Je voudrais vous remercier… vous vous êtes conduit en véritable ami à mon égard. »