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en souriant et risquaient quelque plaisanterie innocente, mais la plupart du temps, ils s’absorbaient dans des discussions sur les harengs, les indiennes ou les toiles et nous laissaient à notre charmante intimité.

Nous eûmes d’abord beaucoup à nous dire et nous tenions à faire montre de notre belle éducation et à jouer le rôle de jeunes gens du monde. Peu à peu, le naturel reprit le dessus et nous en arrivâmes à une douce familiarité, vivant, comme deux membres du même cercle de famille, non sans une profonde émotion pour moi. Cependant, les sujets de causerie vinrent à nous manquer, mais nous n’en étions pas plus inquiets pour cela ; elle me contait de temps en temps des histoires de vieilles femmes dont elle savait toute une collection, les ayant entendu raconter à Neil. Elle les narrait bien, mais mon unique plaisir était d’être près d’elle et d’entendre le son de sa voix. D’autres fois, nous gardions le silence, n’échangeant même pas un regard et trouvant assez de plaisir dans la douceur du voisinage. Je parle, bien entendu, de moi-même. Je n’osais sonder les pensées de mon amie ; pour moi, j’étais tellement épris qu’à mes yeux elle faisait pâlir le soleil. Je l’admirais de plus en plus, tout en elle respirait la santé, la gaieté, la bonne humeur ; elle avait la taille élancée et la démarche allègre. Je ne demandais pas autre chose que sa présence ; il me suffisait d’être près d’elle sur le pont, pour n’avoir aucun souci de l’avenir. Je n’éprouvais aucun désir, sauf parfois celui de tenir sa main dans les miennes, mais j’étais si avare des joies qui m’étaient accordées que je ne voulais rien laisser au hasard.

Nous parlions le plus souvent de nous-mêmes ou bien l’un de l’autre. Si l’on avait pris la peine de nous écouter, on nous aurait jugés les gens les plus égoïstes du monde. Or, un jour que nous causions ainsi, nous en vînmes à des discours sur les amis et les amitiés, et je