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l’ignorer. Je ne sais qu’une chose, c’est que vous avez été trouver Prestongrange et que vous lui avez demandé ma vie à genoux. Oh ! je sais bien que c’était surtout pour sauver votre père que vous avez fait cela, mais vous avez aussi imploré pour moi et je ne l’oublierai jamais. Il y a deux choses qui ne sortiront jamais de ma mémoire : vos paroles quand vous vous êtes appelée « ma petite amie » et votre démarche pour obtenir ma vie. Qu’il ne soit donc plus question entre nous ni d’offense ni de pardon. »

Elle ne répondit rien… nous demeurâmes en silence, Catriona regardant devant elle et moi la regardant… et avant que nous eussions repris l’entretien, le vent ayant soufflé du nord-est, on commença à lever l’ancre et les voiles se gonflèrent sur nos têtes.

Nous étions huit passagers à bord de la Rose : trois solides marchands de Leith, de Kirkcaldy et de Dundee, associés dans le même commerce avec l’Allemagne, un Hollandais qui retournait dans son pays, puis les dignes épouses de ces messieurs et, parmi elles, Mrs Gibbie, aux bons soins de qui Catriona avait été recommandée. Cette dame étant, par bonheur pour moi, très sensible au mal de mer, gisait nuit et jour sur son lit, ce qui nous laissait libres de causer tout à notre aise. Nous représentions seuls la jeunesse à bord, à l’exception du petit domestique qui servait à table ; aux repas, nous étions à côté l’un de l’autre et je m’occupais d’elle avec un plaisir infini ; sur le pont, je la faisais asseoir sur mon manteau. Le temps était superbe pour la saison, de belles gelées blanches la nuit et, le jour, une brise douce et continuelle qui ne faiblit pas durant la traversée de la mer du Nord. Aussi nos journées entières se passaient-elles sur le pont ; assis, ou nous promenant de long en large quand nous sentions le froid. Parfois, les passagers ou le capitaine nous regardaient