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Le spectacle de la duplicité générale me rendait sceptique. L’entourage de Prestongrange, composé surtout de jeunes avocats, m’avait inspiré d’abord une grande méfiance. J’excitais leur jalousie à cause des attentions dont j’étais l’objet. Mais deux jours n’étaient pas passés, que leur tactique avait changé et ils m’accablaient d’éloges et de flatteries. J’étais pourtant le même jeune homme qu’ils avaient dédaigné un mois auparavant, et maintenant, il n’y avait pas de civilités assez grandes pour moi, il n’était pas jusqu’au surnom qu’ils me donnèrent qui ne me fît juger de leurs vues intéressées. Me voyant en si bonne posture auprès de l’avocat général, et persuadés que je devais aller loin et haut, ils avaient emprunté un terme de golf et m’appelaient : « La balle bien placée »[1].

« Vous êtes maintenant des nôtres, » me disaient-ils ; leur assurance égalait leur dissimulation et l’un d’eux ne craignit pas de me rappeler, un jour, qu’il m’avait rencontré à Hope Park. Je lui répondis que je n’avais pas l’heur de m’en souvenir.

« Comment ! c’est miss Grant elle-même qui nous avait présentés l’un à l’autre, je suis un tel.

— Cela est fort possible, monsieur, lui répliquai-je, mais je n’en ai pas gardé le moindre souvenir. »

Cette période de ma vie ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde. J’étais écœuré de toute cette politique et je préférais encore la société de lord Prestongrange. Avec lui, je me départais quelque peu de ma raideur et j’adoucissais ma rudesse. Il s’apercevait de la différence et me conseillait d’être plus de mon âge et plus sociable avec mes camarades.

Je lui répondis que, par caractère, j’étais lent à me faire des amis.

  1. Une balle placée sur un petit monticule, ce qui facilite le coup.