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fumée passa sur nos têtes et les « fous » s’élevèrent en tel nombre qu’il était impossible d’en évaluer la quantité ; leurs cris, leurs battements d’ailes furent un spectacle inoubliable. C’était sans doute pour se donner ce plaisir un peu enfantin que le capitaine vint si près du Bass ; il devait plus tard regretter sa curiosité ; j’eus en effet le loisir d’observer tout à mon aise les agrès de son navire, ce qui me permit de le reconnaître à une grande distance. Cela me servit à sauver un ami et le capitaine Palliser dut en éprouver une sensible déception, comme on le verra par la suite de ce récit.

Je n’eus pas à me plaindre de mon régime pendant tout mon séjour sur l’îlot : la nourriture était suffisante, nous faisions de la bouillie d’avoine et, pour boire, nous avions de l’eau-de-vie et de la petite bière. De temps en temps, un bateau venait de Castleton, et nous apportait un quartier de mouton, car ceux qui étaient dans l’île étaient destinés à la vente et nous n’y touchions pas. Ce n’était malheureusement pas la saison de la chasse aux oiseaux de mer, et les « fous » nous servaient seulement à la pêche : quand l’un d’eux avait saisi un poisson, nous réussissions généralement à lui enlever sa proie.

La situation si originale de ce roc délaissé, ses souvenirs anciens et ses curiosités naturelles m’intéressaient et m’empêchaient de trouver le temps trop long. Toute évasion étant impossible, je jouissais d’une liberté complète, et, partout où le sol pouvait porter le poids d’un homme, j’explorais la surface de l’îlot. Le vieux jardin de la prison, fouillis de plantes abandonnées et en désordre, méritait d’être visité. Un peu plus bas, était la chapelle ou bien, peut-être, une cellule d’ermite. Nul ne savait qui l’avait construite ou habitée. Son antiquité suggérait de sérieuses méditations. De même, la prison où je bivouaquais maintenant en compagnie de voleurs highlanders était un monument précieux pour l’histoire