Le roussin par devant et le manant derrière.
Ce dernier, d’une humeur grossière,
Accélère la marche à grands coups de gourdin
Et notre paillard a beau braire,
Son dos n’en est pas moins caressé du rotin.
« Oh ! oh ! se dit l’âne sauvage,
« Ceci ne me plaît pas. Je fus bien sot vraiment
« De porter envie un moment
« À ce souffre-douleurs chargé trop pesamment
« Et qui, ployant sous le bagage,
« Ne fait un pas qu’en trébuchant.
« Encore s’il était à l’abri de la trique !…
« Mais non ; ce rustre en son courroux
« Fait pleuvoir sur ses reins une grêle de coups
« Sans motif !… Eh, bon Dieu ! quelle mouche le pique
« De maltraiter de même un baudet innocent !
« Adieu ! mon pauvre frère… au fond de mes montagnes
« Je vis pauvre, mais libre ; et je plains maintenant
« Tous ceux qui, comme toi, nourris dans les campagnes
« Endurent mille morts sous le joug d’un manant !… »
Pour être heureux, il faut, je pense,
Savoir se contenter de la condition
Où nous a mis la Providence.
Tout homme travaillé par dame Ambition
Passe presque toujours une triste existence.
J’admire cet antique adage : « connais-toi. »
En effet, si l’on jette un regard sur ce monde
Où la misère abonde,
On peut toujours trouver plus malheureux que soi.