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LES DEUX VOISINS.

— Papa, vous n’êtes pas sérieux, dit alors le jeune Pierre en lançant à la tête paternelle quatre mots latins tirés de St. Thomas d’Aquin : timeo hominem unius libri, ça signifie qu’il ne faut apprendre qu’une chose et l’apprendre bien.

— Qui trop embrasse mal étreint, hasarda la fille aînée.

— Ah ! ah ! continua madame Pierre, ce gros laid t’a dit qu’il était bon qu’un jeune homme eût plusieurs cordes à son arc, eh bien ! tu pourras lui répondre par un autre proverbe : trente-six métiers, trente-six misères, et tu ne lui feras pas mes compliments.

Le voisin Pierre courba d’abord la tête sous cette triple condamnation, mais reprenant bientôt courage :

— Madame, continua-t-il, le voisin Jean-Baptiste est peut être un gros laid, — ce que dans tous les cas je n’oserais affirmer sous serment, — mais ce que je puis assurer, c’est que c’est un homme d’un bon sens à toute épreuve, qui a le talent d’arrondir son capital, tandis que le nôtre fond à vue d’œil. Je croirais même que les dépenses que nous faisons pour nos filles sont exagérées et ridicules. Il m’a dit……

— Assez, Monsieur, ou je vais croire que vous vous laissez conduire par ce vieux ladre, ce vilain marabout dont les filles ont l’air de vraies servantes. Ça travaille du balai, ça s’échine à coudre, je crois même que ça fait la cuisine. Fi ! quelle horreur…… Sans doute elles n’ont guère besoin d’être bien belles pour trouver à s’établir. Il y aura toujours quelque pauvre diable qui viendra les déterrer dans leur tanière pour la dot qu’elles doivent recevoir. Mais sont-ce là des partis pour des demoiselles aussi accomplies que les nôtres ? À la vérité, nous sommes plus gênés que votre M. Jean-Baptiste, mais au moins nous vivons bien, nous ne nous refusons rien pas plus qu’à nos filles, et le jour approche