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LES DEUX VOISINS.

Le voisin Pierre eut beau vouloir tenir serrés les cordons de la bourse, il fallut les délier, la vider et commencer à écorner le capital, car le fils aîné, pour achever ses études, coûtait énormément, et malgré la plus stricte économie, à mesure que les filles prenaient de l’âge, il se faisait tous les mois de nouvelles réquisitions de robes neuves, de chapeaux neufs, de dentelles, de fleurs, etc.

Bref, le voisin Pierre ne sachant plus à quel Saint se vouer, alla revoir le voisin Jean-Baptiste, et le trouva au bout de son champ très activement occupé à surveiller quelques hommes qui plantaient les poteaux d’une clôture neuve.

Bonjour, voisin, dit Pierre, et que faites-vous  ?…… seriez vous devenu arpenteur que vous alignez ainsi des piquets à perte de vue ?

Pardon, monsieur Pierre, fit le voisin Jean-Baptiste, tout en fermant l’œil gauche et dirigeant l’œil droit sur la filée de ses poteaux ; pardon, mais j’ai acheté, cette semaine, tout le terrain que vous voyez jusque là-bas, et je tiens à le mettre tout de suite en culture. C’est une dépense utile celle-là, et qui ne pourra qu’accroître mon capital, ainsi que le bien-être présent et futur de mes enfants.

Voilà le temps qui arrive où j’aurai besoin d’argent, de beaucoup d’argent. Mon fils achève ses études cette année. L’an prochain je veux qu’il apprenne un métier. Aprés son apprentissage il ira faire un tour de France et d’Angleterre pour se perfectionner. Ça fait qu’il aura deux cordes à son arc, et si son éducation lui fait défaut, au moins pourra-t-il vivre honorablement du travail de ses mains, sans être à charge à qui que ce soit. Quand il aura atteint sa vingt-deuxième année, il nous reviendra homme fait dans toute la force du terme. Il aura comme on dit, « mangé de la vache