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PIERRE CARDON.

portun visiteur, il lui avait demandé machinalement, mais d’un ton colère : qu’y a-t-il pour votre service, Monsieur ?

Marie, de son côté, regardait cet homme avec un vague effroi, et l’enfant pleurait toujours, tandis que l’étranger tourmentant sa moustache, semblait plutôt disposé à rire qu’à répondre.

— Ah ça ! tu ne me reconnais donc plus, Pierre, dit-il enfin, en arrachant son feutre qu’il jeta sur l’herbe ; on voit bien que le mariage t’a enlevé la mémoire, continua-t-il, en montrant du doigt madame Cardon, qui prenait le chemin de la maison en couvrant son fils de baisers pour calmer sa frayeur. On dit que les morts vont vite, mais il paraît que les absents vont encore plus grand train ; voyons, regarde-moi bien de la tête aux pieds, et tâche de rappeler tes souvenirs, si tu ne les as pas enterrés avec ta jeunesse ?

Ce langage plus que familier, et qui frisait l’insolence, avait plongé M. Cardon dans un embarras d’autant plus profond, qu’il ne pouvait parvenir à reconnaître son étrange interlocuteur.

— Allons, fit ce dernier après une pause de quelques minutes, je vois bien que tu n’as pas plus de mémoire qu’un poulet. Tu ne te rappelles donc plus Ephrem Malandrin, ton meilleur compagnon de classe !

— Comment ?… c’est toi Ephrem !… reprit M. Cardon. Je te jure bien ma parole que je ne t’aurais jamais reconnu, changé comme te voilà !

— Eh oui ! c’est moi, en chair et en os, et au complet, répliqua d’un ton protecteur et évidemment satisfait de sa personne, M. Ephrem Malandrin ; si tu avais battu la Californie pendant six ans et doublé deux fois le Cap Horn, tu n’aurais pas aujourd’hui si bonne mine. Mais à propos, sais-tu bien qu’il a fait aujourd’hui une chaleur écrasante. J’ai le gosier sec