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PIERRE CARDON.

lutte désespérée qui s’était engagée entre la Sans-Regret aidée de son petit-fils et leur misérable bourrique.

— Oh ! Madame, dit la vieille en rentrant essoufflée, on a bien raison de dire qu’une croix ne vient jamais sans l’autre. Figurez-vous que mon gendre avait une jument, qui valait cinquante piastres comme une cope et qui nous aurait hivernés comme des rois. Cette bête était si bonne et si aisée à mener qu’une créature aurait pu la conduire jusqu’au bout du monde. Mais le jour des courses, apparemment qu’il était en train, ne s’est-il pas avisé de l’échanger pour un grand mal dompté, qui avait mal aux pattes ! Il en eut tant de chagrin, quand il s’en aperçut le lendemain, qu’il fêta pendant huit jours, et le neuvième, à la brunante, il revint avec celui que vous venez de voir. Ce n’est pas tout. Ce malheureux bétail le fit devenir la risée du village. Il ne pouvait pas descendre un Américain sans que quelque malintentionné ne l’envoyât chez nous. Quelquefois, ils se tenaient quatre ou cinq pour le voir passer, et aussitôt que mon gendre montrait le bout du nez, ils se mettaient à se crier l’un à l’autre pour le faire étriver :

— Je gage qu’il n’a pas vendu le trotteur moins de 100 louis !

Sans pareil vaut mille piastres !

— Un poulain de trente ans, qui a la queue comme un radis, et des yeux de ferblanc. Rien que pour le voir ça vaut de quoi. Hé ! l’Américain, donnez lui donc une piastre, il n’y en a plus dans le pays comme celui-là.

Je vous laisse à penser si ces risées le mortifiaient. Avec ça qu’il n’est pas bien endurant de son naturel, ça le mettait dans des rages abominables, et comme il ne pouvait pas se « revenger » sur eux autres, sa colère