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LES TROIS VÉRITÉS.

La peur lui tint les yeux ouverts toute la nuit.

Sur le jour, vaincu par la fatigue et les émotions de la veille, le pauvre diable allait s’assoupir quand les fanfares bruyantes d’un coq du voisinage annonçant le lever de l’aurore le réveillèrent en sursaut.

Sauter à bas du lit, prendre son bâton, son paquet et gagner la porte, furent pour Jean l’affaire d’un clin d’œil. Il n’avait plus que la cour à traverser lorsqu’il tomba nez à nez avec l’hôtelier. L’effet de cette rencontre fut si foudroyant pour le fugitif, qu’il ferma les yeux, et s’arrêta tout court les bras en avant et une jambe en l’air, ne bougeant pas plus qu’un poteau.

Me voilà mort tout de bon cette fois, pensait-il, mais quelle fut sa surprise quand il se sentit tout-à-coup embrassé sur les deux joues.

L’hôtelier lui serrait les mains avec les marques de la plus vive tendresse.

— Vous êtes mon libérateur, lui disait-il, vous avez rompu le charme qui pesait sur ma maison et vous avez délivré la créature qui est sortie hier soir de l’armoire, et dont l’arrivée vous causa une telle peur que vous oubliâtes de souper. Les cadavres que vous avez vus dans votre chambre sont les tristes restes de vingt-trois voyageurs comme vous qui arrivèrent demander l’hospitalité dans cette maison et que leur curiosité perdit, car un sort inexorable les condamnait à la mort, du moment qu’ils risquaient une simple question sur ce qu’ils voyaient ou entendaient ici.

Avant de partir, j’espère, mon excellent et courageux ami, que vous voudrez bien déjeûner avec moi, et accepter une légère marque de ma reconnaissance éternelle.

Jean Lafortune alla donc déjeûner avec l’hôtelier, et il va sans dire qu’il mangea de meilleur appétit que la veille.