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LES TROIS VÉRITÉS.

Une heure après, Jean Lafortune marchait gaîment au soleil, le long du chemin du roi, un lourd rondin de mérisier sur l’épaule au bout duquel se balançaient, noués dans un mouchoir solide, son butin et sa tourtière de dix livres.

Chemin faisant, il fut accosté par un voyageur ; c’était un gai compagnon, rieur, insouciant, s’en allant chercher fortune au loin.

Tous deux dégoisaient de choses et d’autres quand ils arrivèrent à un endroit où la route se bifurquait : d’un côté se trouvait une forêt sombre, épaisse, à travers laquelle on avait ouvert un chemin nouveau, aboutissant, suivant toute évidence, à un village qu’on apercevait dans le lointain, car la flèche d’une chapelle scintillait au soleil, et l’on voyait, monter, vers le ciel serein, comme autant de panaches, la fumée de plusieurs cheminées.

De l’autre côté, le vieux chemin serpentait à travers les champs, décrivant de capricieux zigs-zags.

Jean Lafortune s’était arrêté tout court.

Qu’as-tu donc à regarder en l’air, lui cria son compagnon qui s’était engagé bravement dans le chemin nouveau ?

Je te regarde faire, et je te souhaite le bonjour, repartit Jean, moi je prends le vieux chemin !

— Pourquoi ça ? tu ne sais donc pas qu’il est deux fois plus long.

— C’est possible, mais un vieux philosophe que j’ai servi pendant trois ans m’a dit qu’il fallait toujours suivre le vieux chemin. J’ai payé cette vérité cent piastres, c’est bien le moins que je la suive.

— Ton vieux philosophe n’était qu’une vieille bête, reprit le gai compagnon à travers les branches. Échauffe-toi donc comme il faut la carcasse au soleil, puisque