Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR.

tarderait pas à apporter le sien. Dans cette douce espérance, il se mit à arpenter en long et en large son misérable réduit, accueillant avec une joie farouche et répétant à haute voix toutes les réminiscences classiques plus ou moins conformes à sa position :


Æquum memento rebus in arduis
Servare mentem………
…………………………………………
Justum et tenacem propositi virum, etc.


Notre malheureux ami déclamait au moins pour la dixième fois cette magnifique tirade du bon Horace, lorsqu’en jetant les yeux sur le mur, il s’aperçut avec un effroi légitime que les barres de feu diminuaient peu à peu, ce qui signifiait, à l’évidence, que le soleil allait se coucher et que l’heure du souper se passait. Alors Pierre, qui avait faim, se colla le dos contre la porte, l’oreille contre le judas, et se mit à heurter de toutes ses forces, tantôt du pied gauche, tantôt du pied droit, mais personne ne répondit à ses appels désespérés.

Cependant la nuit se faisait insensiblement. Pierre se résigna à ne pas souper, et, surmontant ses répugnances, il prit d’une main frémissante le gobelet d’étain, le rinça avec indignation, et but, coup sur coup, trois énormes verres d’eau, de cet air stoïque que devait avoir Alexandre-le-Grand lorsqu’il avala d’un trait la potion préparée par son médecin Philippe : après quoi, Pierre monta sur le lit de camp, défit le nœud de sa cravate, ôta son habit qu’il plia soigneusement en forme d’oreiller, et s’étendit de tout son long sur les planches, où il ne tarda pas à dormir d’un profond sommeil.